L’édition 2016 des Tribunes de la Presse restera sans doute dans les mémoires. Sa première journée aura, en tous cas, été particulièrement bien remplie tant du point de vue de la qualité des sujets abordés que de celui de la fréquentation et de l’attention du public. Certes le sujet de cette 6ème édition, « Le pouvoir lire la suite
L’édition 2016 des Tribunes de la Presse restera sans doute dans les mémoires. Sa première journée aura, en tous cas, été particulièrement bien remplie tant du point de vue de la qualité des sujets abordés que de celui de la fréquentation et de l’attention du public.
Certes le sujet de cette 6ème édition, « Le pouvoir dans tous ses états », a été particulièrement bien choisi. On en perçoit les échos quotidiennement, comme l’a relevé dès la séance inaugurale Catherine Marnas, la directrice du TNBA où se déroulent les plénières. Le « besoin de se ressourcer » de la démocratie avait, juste avant elle, été relevé par Alain Rousset, président de la région. Bernard Guetta, journaliste et président des Rencontres d’Aquitaine qui organise les Tribunes, parlait pour sa part de « fin d’un monde de convictions » et « de lignes de fracture particulièrement nettes ». « Eclairer les causes de cette crise, entrevoir les chemins de sortie, redéfinir le monde », constituaient pour lui les objectifs ambitieux de ces trois journées. Avec toujours en background le rôle des médias.
S’ensuivirent un débat sur « la fatigue démocratique », un autre sur le pouvoir des intellectuels et un troisième sur les lanceurs d’alerte, avant que la journée se termine, en fanfare, par le Grand Oral Sciences Po – Sud Ouest auquel s’est soumise Christiane Taubira. Un constat un peu déprimant, un échange de haut vol, à nouveau le constat que beaucoup reste à faire et que la morale est bien malmenée, mais en fin de journée, la lumineuse présence d’une femme politique en qui on aurait envie de faire confiance.
La fatigue démocratique
« La démocratie bégaïe », « les partis se déchirent », on relève une forte « crise de la représentativité » : Bernard Guetta en fait le triste constat. Sur la tribune, Célectine Bohlen, éminente journaliste du NewYork Times, pointe les différences entre la France et les Etats-Unis mais parle dans les cas d’« une démocratie vivante ». Louise Moulin, une des actrices des Nuits Debout, parle de « moment d’humanité », d’une « belle expérience ». Alain Rousset exprime son « sentiment de colère » mais nuance les résultats du quinquennat et avance les réussites régionales. Il insiste sur « les petits pas ». Gil Delannoi, politologue au CEVIPOF, entre dans les propositions avec une chambre consultative dont les membres seraient tirés au sort et un Sénat intégrant une part d’« élites autres que politiques » également tirées au sort. La méfiance dans les médias ressort une fois de plus mais les fausses nouvelles diffusées dans les réseaux sociaux sont autrement dangereuses, comme cela a été relevé à plusieurs reprises.
Les intellectuels ont-ils encore le pouvoir ?
« Les intellectuels ont-ils encore le pouvoir ? ». Cette question étaient posée à Régis Debray, Shlomo Sand, universitaire israélien et Laurent Joffrin, directeur de Libération. Pour Régis Debray, un intellectuel, c’est « un lettré qui rend publiques ses opinions privées ». Selon lui, un intellectuel est médiatique par définition. Et de donner des exemples historiques qui confirment ses dire. C’est, en quelque sorte « un lettré qui a un projet d’influence », donc qui recherche du pouvoir. Shlomo Sand le veut « critique », dans la lignée des Lumières. C’est ainsi, selon Régis Debray, que les écrivains sont devenus « une puissance politique » (pour reprendre l’expression de Tocqueville à partir du 18ème siècle. La question est de savoir si, confronté aujourd’hui à la logique de « flux » qu’exige la télévision, ils peuvent continuer à jouer leur rôle ? A la place de ces intellectuels se trouvent dorénavant les économistes et leurs chiffres. Toujours selon l’essayiste, « le coup remplace (désormais) l’événement : on fait l’actu comme on fait la vaisselle ». Pour Shlomo Sans, pourtant, « il n’y a pas de pouvoir sans intellectuels ». Accusée d’avoir fait perdre leur autonomie aux intellectuels, la presse peut-elle leur redonner de la place ? Dans la presse papier ou sur le net, oui selon Laurent Joffrin qui se définit lui, non comme intellectuel, mais comme « publisciste ». Il s’accorde avec Régis Debray (et Mac Luhan !) pour reconnaître l’importance du média sur le message. Les techniques de diffusion obligent l’intellectuel à adapter son message, mais c’est ainsi depuis toujours. Shlomo Sand a repris la formule d’Eisenhower : est-ce qu’on « utilise pas (quelquefois) trop de mots pour dire peu de choses » ?
Lanceurs d’alerte : un nouveau pouvoir ?
Le débat sur et avec les « lanceurs d’alerte » nous ramène à plus de prosaïsme. Peut-on dénoncer justement ce qui mérite de l’être ? A la tribune, un juge, Eric Alt, de l’association Anticor qui lutte contre la corruption et la fraude fiscale et surtout deux « lanceurs d’alerte » sans le savoir, qui ont payé durement leur attachement à la vérité : Philippe Pichon, ancien commandant de police et Stéphanie Gibaud, ex-cadre bancaire chez UBS. Frank Niedercorn, journaliste aux Echos et vice-président du Club de la Presse, animait le débat. Même si la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) reconnaît « l’importance de l’information dans une société démocratique », « la liberté de parole critique comme première condition sur le fonctionnement d’un système et la manière de prendre des décisions », l’importance primordiale de « l’intérêt général », la protection d’un « lanceur d’alerte » n’est pas vraiment assurée comme en témoigne le fait que deux invités du débat se sont retrouvés à la rue pour avoir dénoncé des pratiques illégales, même dans le cas où, en droit, on en a le devoir (un policier a, par exemple,sur le papier, « obligation de dénoncer les crimes et délits ». Au bout du compte, les dénonciateurs sont avant tout considérés comme des traitres, de « sombres précurseurs » comme un ouvrage qui leur est consacré le titre. Mais « il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre » disait Bernanos cité par Eric Alt. Quant à recourir aux médias pour faire valoir la vérité, comme l’a pointé Frank Niedercorn, « le recours à la presse doit arriver en dernier » selon la CEDH et même la très récente (et pas encore promulguée) loi Sapin 2.