Tribunes de la Presse 2024 - enquête locale

Comment réaliser des enquêtes lorsqu’on travaille dans la presse locale ? Simon Barthélémy, rédacteur en chef du média Rue89 Bordeaux, Clémence Postis, rédactrice en chef de la revue Far Ouest et Yann Saint Sernin, journaliste au service justice et enquêtes à Sud Ouest Bordeaux nous ont apporté leurs éclairages sur ce sujet le vendredi 17 novembre aux Tribunes de la Presse de Bordeaux.

« Il est tout à fait possible de faire de l’investigation au niveau local, et cela permet même d’aller plus précisément dans les détails et de se montrer plus proches des lecteurs que si l’enquête avait été réalisée au niveau national », assure Simon Barthélémy, rédacteur en chef du média Rue89 Bordeaux. En effet, « la presse nationale est parfois trop centrée et trop concentrée sur Paris », ajoute Clémence Postis, rédactrice en chef de la revue Far Ouest.   

Mais il existe un inconvénient, véritable revers de la médaille de cette proximité : « les sources ont plus de mal à parler ouvertement aux journalistes que dans la presse nationale. Et c’est tout à fait compréhensible, car ces personnes, surtout si elles résident dans de petites villes pourraient être facilement retrouvées, souffle Simon Barthélémy. Nous avons donc créé une plateforme dédiée qui permet aux personnes qui le souhaitent de livrer des infos de manière anonyme à notre rédaction ». 

Créer des collectifs

La presse locale bénéficie néanmoins d’une réelle force de frappe, souligne Yann Saint Sernin, journaliste au service justice et enquêtes à Sud Ouest Bordeaux : « il y a quelques années, nous avons siphonné, de manière tout à fait légale, la base de données transparence santé qui permet d’identifier les avantages et les rémunérations dont bénéficient les CHU de la part des laboratoires. Nous nous sommes retrouvés avec une quantité de données colossale, d’ampleur nationale. Et nous avons donc créé un collectif avec d’autres journalistes de médias de presse quotidienne régionale à travers la France. Quelques semaines plus tard, nous avons tous publié les résultats de notre grande enquête, le même jour ». Mais il s’agit là d’un cas un peu exceptionnel : « l’impact de notre travail est généralement assez limité, concède Yann Saint Sernin. A mon avis, il nous faut donc réfléchir, au niveau local à la manière dont nous pourrions dynamiser cette information ». 

Un format qui demande du temps et de l’argent

Parfois, le temps nécessaire à la réalisation d’une enquête peut être un véritable frein, déplore Clémence Postis : « la dernière enquête que j’ai réalisé pour la revue Far Ouest portait sur les conditions de travail particulièrement difficiles subies par les salariés de la célèbre librairie Mollat. Elle a duré un an et demi ! Je ne suis pas prête de me lancer à nouveau dans une enquête, car cela demande vraiment beaucoup trop de temps et d’argent ». 

Surtout, le fait d’opter pour ce type de format peut mettre en danger les petits médias qui n’ont pas toujours les moyens de payer d’éventuels frais de justice : « les procédures baillons restent une réalité, alerte la journaliste de Far Ouest. Pour l’enquête sur Mollat, nous avons fait le choix de nous associer au journal Le Monde car nous avions absolument besoin de collaborer avec un plus gros média, notamment pour garantir une diffusion plus large, mais également afin de bénéficier d’une solide protection juridique ». 

Quand le chaud mange le froid

Et pour quel résultat ? « Nous n’avons pas vraiment les moyens de faire trembler les institutions, analyse Clémence Postis. La publication de l’enquête sur Mollat n’a par exemple rien changé aux conditions de travail subies par les salariés »

Enfin, le format enquête peut aussi avoir du mal à s’insérer dans un média quotidien : « la priorité absolue quand on travaille dans la presse quotidienne régionale, c’est le journal du lendemain, pas celui de la semaine prochaine. Il y a donc un réel travail d’organisation à mener pour faire cohabiter dans un journal l’actualité chaude avec de l’enquête, qui est une actualité plus froide et qui nécessite plus de temps », souligne Yann Saint Sernin. Pour le journaliste du service justice et enquêtes à Sud Ouest, il est donc nécessaire de sanctuariser des postes pour ce type de journalisme au long cours. Car dans le cas contraire, il existe un réel risque que « le chaud finisse toujours par manger le froid ! ». 

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Texte : remerciements à Thomas Allard, membre actif du CA pour cet article, ainsi qu’aux intervenant.e.s de cette rencontre organisée par le Club (Simon Barthelemy, Anne-Sophie Novel, Clémence Postis et Yann Saint-Sernin).

Photo : Club de la Presse

Plus d’infos sur le site des Tribunes de la Presse 2023.

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