Jean-Claude Guillebaud : « Les médias ne doivent pas parler que des faiseurs de guerre » « La non-violence est-elle plus efficace que la violence ? De Gandhi à Daesch » était le thème d’un intéressant débat des Tribunes de la Presse 2016, entre un journaliste essayiste, un médecin humanitaire et un photojournaliste. « -Personne n’ose en parler, mais pourquoi les lire la suite
Jean-Claude Guillebaud : « Les médias ne doivent pas parler que des faiseurs de guerre »
« La non-violence est-elle plus efficace que la violence ? De Gandhi à Daesch » était le thème d’un intéressant débat des Tribunes de la Presse 2016, entre un journaliste essayiste, un médecin humanitaire et un photojournaliste.
« -Personne n’ose en parler, mais pourquoi les hommes, au sens large, aiment-ils la guerre ? Cette jubilation de la guerre, je l’ai retrouvée partout. » Il revenait à Jean-Claude Guillebaud, grand reporter (prix Albert Londres 1972), éditeur et écrivain d’ouvrir le ban. Lui qui fut envoyé par Sud Ouest au Biafra à l’âge de 24 ans, puis au Viet-Nam, au Liban et sur d’autres théâtres de guerre qu’il couvrit ensuite pour Le Monde ou le Nouvel-Observateur, pouvait prendre de la distance avec ce problème : la violence dans notre monde est désormais relayée de manière massive par les médias.
« -J’ai longtemps fréquenté la violence pour tenter d’en atténuer les conséquences » note pour sa part Rony Brauman, l’un des fondateurs de Médecins sans Frontières et directeur d’un institut humanitaire à l’université de Manchester. « – Il faut se garder des simplifications entre victimes, bourreaux et sauveteurs, argue-t-il, et ne pas céder à la tentation d’imposer le bien par la force. Toutes les tentatives de ce genre ont créé du désordre et de l’oppression. » Et il cite la Somalie, mais aussi l’Afghanistan, l’Irak ou la Libye, où le chaos a succédé à des dictatures et suscite de nouvelles guerres.
« Photo-kalashnikov »
L’omniprésence des images pose de plus en plus question, et pour Ammar Abd Rabbo, photojournaliste franco-syrien, le problème que posent certains médias est « de vouloir publier ce que j’appelle des « photos-kalashnikov ». C’est à dire qu’une image d’enfant avec un fusil est jugée plus importante que celle d’un autre qui va à l’école dans une ville bombardée. Quand on arrive dans une rédaction avec un reportage sur une école, on nous répond qu’il faut plus d’armes et de sang pour accrocher le public ». Il montrera des photos qu’il a prises récemment en Syrie et en Irak, dont certaines prêtent tristement à sourire. Ainsi celle d’une équipe de tournage d’un feuilleton TV, posée au milieu des ruines, en train de tourner un scénario comique. « – Le réalisateur m’a dit : à Hollywood ils paieraient cher pour avoir un décor pareil ! »
Quand la vie essaie de s’imposer sous les bombes, la non-violence et les images de vie quotidienne ont bien du mal à percer. Les trois intervenants rappelleront avec Jean-Claude Guillebaud « que si l’on devient aussi barbares que les barbares, c’est le barbare qui a gagné. J’ai fait des livres avec Raymond Depardon, il me disait toujours « qu’il ne faut pas faire de pornographie guerrière ».
Les uns et les autres constateront cependant que la violence prend de nouvelles formes, avec les attaques de drones et les bombardements systématiques d’hôpitaux et d’écoles.
Mais il ne faut pas pour autant confondre, dans la réponse, non-violence et pacifisme. A un élève dans la salle qui demandait où était la différence, le journaliste répondra « que le pacifisme est la non-violence érigée en idéologie, ce qui aboutit au refus de toute action guerrière. Je ne suis pas d’accord avec cela, car le pacifisme radicalise alors l’idéologie de la non-violence. » Il rejoint Rony Brauman qui rappelle que « le principe de légitime défense limitée dans le temps et la réponse à une menace réelle justifient une guerre juste. » Et c’est peut-être ici que se situe la vraie réponse à la question du débat : la violence devient, dans ces cas-là, inévitable et plus efficace.
Jean-Pierre Spirlet