Mardi 16 mai se tenait la première journée de « Me parle pas d’âge », festival organisé sur deux jours par le Département de la Gironde, par et pour les jeunes. Un forum et des conférences sur la politique, le climat mais aussi l’information. Autour de cette table de fin de journée, animée par le fondateur du média Le Crayon Jules Stimpfling : l’agrégée de lettres et vulgarisatrice Athena Sol ; le fondateur du média HugoDécrypte, Hugo Travers ; et la chercheuse et directrice adjointe de l’IJBA, Rayya Roumanos.
Un festival qui « donnait la parole et le pouvoir aux jeunesses sur des enjeux qui les concernant » ; c’était le but de « Me parle pas d’âge ». Forum, performances et tables rondes avec des expert·es autour de différents sujets tels que le corps, la politique, la colère, le climat, et celle qui a intéressé le Club : « la jeunesse est-elle mieux informée ? ».
Il est 18h30 lorsque Jules Stimpfling, cofondateur du média de débat Le Crayon, prend place sur sa chaise. Le brouhaha cesse instantanément. À côté de lui, trois sièges vides destinés à ses invité·es, qu’il présente tour à tour. La Girondine et agrégée de lettres, Athéna Sol, s’est faite connaître sur les réseaux sociaux. D’abord, en tant que militante LGBTQIA+, elle s’est progressivement mise à parler mots et syntaxe dans des formats courts, ludiques, accessibles.
À sa gauche, Hugo Travers. Depuis plusieurs années, avant même la fin de son cursus à Sciences Po, il tient une chaîne Youtube nommée « HugoDécrypte» dans laquelle il résume l’actualité et vulgarise des enjeux contemporains. Aujourd’hui organisé·es en tant que rédaction, l’homme et son équipe entendent parler à celles et ceux qui ne se renseignaient pas, ou plus. Il résume donc les « Actus du Jour», « bonnes nouvelles de la semaine » ou propose des formats plus longs sur une chaîne secondaire.
Enfin, tout à gauche du plateau, la directrice adjointe de l’IJBA Rayya Roumanos. Elle étudie au sein du laboratoire de recherches Mica (Médiations, informations, communications, arts) les évolutions du journalisme. Datajournalisme, Open Source Investigation (Osint), mais aussi algorithme ou réseaux sociaux ; autant de mutations que connaît la profession notamment à l’ère numérique.
Des profils aussi différents les uns que les autres, rejoints par un point commun : si l’une analyse les nouveaux territoires du journalisme, les deux autres protagonistes en ont fait leur terrain de jeu.
Une génération abrutie par les infomédiaires ?
Qui n’a jamais été sujet à la flânerie sur les réseaux sociaux ? Regardé des vidéos montrant des chats, des mises en scène comiques, ou des chats dans des mises en scène comiques… ? Parce que les réseaux sociaux, c’est aussi un moyen de se vider la tête. Mais aussi de se documenter !
Pour couper court à ces a priori déjà maintes fois déboutés : non, les jeunes ne sont pas moins bien informé·es que leurs aîné·es. Ces présupposés, relève Rayya Roumanos, découlent de « craintes liées à la méconnaissance de leurs pratiques ». Les études montrent au contraire : que ces jeunes savent s’informer, et surtout, qu’ils en ont envie. Selon une étude de Médiamétrie, seul·es 7 % des 15-34 ans ne s’intéressent pas du tout à l’actualité !
Une étude plus récente menée par Ipsos en 2022 pointe que les médias traditionnels restent privilégiés pour consulter l’actualité… mais les réseaux sociaux sont aussi largement utilisés ! 94% de cette tranche d’âge se sert ainsi d’Instagram, Youtube, Tik Tok, Twitter, Facebook ou Snapchat pour s’informer, dont 73 % au quotidien.
Ce qui ne signifie pas qu’ils y placent une confiance aveugle, au contraire. « Les jeunes ne sont pas dupes des mécaniques algorithmiques », rappelle Hugo Travers. Ils et elles adoptent des stratégies de contournement pour ne pas se retrouver prisonnier·es d’une bulle informationnelle. Les réseaux sociaux permettent, cependant, de choisir ses sujets sans se les voir imposés par les rédactions.
Un rapport plus horizontal au public
Une actualité choisie par le public ; c’est justement ce que permet l’essor des réseaux sociaux et de la presse en ligne. Le public expose ainsi ses exigences envers les médias qui, dans une logique d’audience, doivent se plier aux règles. Et ces demandes commencent par une forme de transparence ; Hugo Travers a ainsi ouvert les portes de ses conférences de rédaction de façon hebdomadaire sur la plateforme de direct Twitch en 2022.
Cette attente vis-à-vis de la transparence passe aussi par la spontanéité, et le retour du « direct ». Mais pas celui du JT, comme l’observe Rayya Roumanos ; un direct qui mettrait « de côté l’information construite et en retire la subjectivité injectée ». Des nouvelles formules sur Instagram, Youtube ou Tik Tok – comme le font Hugo Travers ou Rémy Buisine, journaliste pour Brut., lors des manifestations – laissent le terrain parler.
Ces directs doivent tout de même être contextualisés après coup. Les nouveaux formats, oui ; l’oubli des règles déontologiques, non ! L’information pouvant être consommée de façon sporadique, le contexte doit être rappelé dans les formats courts comme longs pour éviter de mauvaises interprétations.
Les médias n’ont plus le même contrôle sur la distribution qu’il y a vingt ans, et ne peuvent plus imposer leurs choix. Rayya Roumanos insiste alors sur cette importance de « co-composer une information avec » ce public. Les réseaux sociaux et infomédiaires lui permettent justement de choisir son information et de la porter à l’espace médiatique. L’agrégée de lettres habituée des réseaux sociaux, Athéna Sol, contrebalance les reproches habituellement faites aux bulles de filtre : « On peut être dans des niches qui nous plaisent ! » Sans pour autant être mal informé·e. La vulgarisatrice relève ainsi la cause des Ouighours, méconnue avant que les réseaux sociaux ne libèrent le sujet.
L’information se réinvente avec les réseaux sociaux
« Je ne prétends pas faire de l’information », avance Athéna Sol, avant de poursuivre : « C’est vraiment moi sur des sujets précis, je ne suis pas généraliste ». Ses vidéos éclairent pourtant sur des thématiques bien spécifiques liées à l’usage de la langue. Exceptions, mauvais usage, apprentissage de mots… L’autrice de « Parle ou crève » publie des contenus variés pour parler syntaxe, avec une pointe de féminisme et engagement contre les LGBTphobies. Elle met « de l’individu derrière » ce contenu – entraînant malheureusement son lot de cyberharcèlement –, préférant la désignation de « vulgarisatrice ».
C’est pourtant ce flou que créent les réseaux sociaux ; entre créateurs et créatrices de contenus et journalistes. Les deux informent, instruisent, mais les premier·es échangent plus directement avec leur communauté. Quoique, plusieurs journalistes, spécialisé·es ou non, s’y sont aussi mis·es. Hugo Travers semble opérer une distinction, au moins pour son média : s’il encourage créateurs et créatrices de contenus à partager des causes, il préfère un traitement neutre des actualités. Neutre, même si le fait de choisir un sujet, de hiérarchiser l’information implique déjà un parti-pris, rappelle-t-il.
« Le journalisme veut dire 1000 choses » réfléchit le fondateur d’HugoDécrypte, tant sur le fond que la forme. « Certains journalistes font un traitement subjectif et c’est très bien aussi ! » Le public lui implique de toujours se remettre en question et cette nouvelle distribution de l’information permet de nouvelles pratiques, d’explorer d’autres terrains de jeu.
Comme l’a observé Rayya Roumanos, le journalisme s’est retrouvé chamboulé ces dernières années, avec « la création de nouvelles communautés, avec des acteurs et actrices que personne n’avait identifié auparavant ». L’enjeu, pour les médias dits traditionnels, sera de se renouveler, « voir comment évoluer en maintenant des bases [déontologiques] solides ». Il s’agira aussi de trouver comment limiter les dangers tout de même présents de désinformation. Là encore, les médias ont pleinement un rôle à jouer, s’ils parviennent à saisir l’opportunité de parler aux publics en s’imprégnant des codes numériques.
Texte et photo : Justine Vallée