L’ancien maire d’Eysines et son amie historienne ont présenté leur livre commun sur les événements d’il y a cinquante ans. Un ouvrage fort documenté, qui rappellera bien des souvenirs aux Bordelais devenus septuagénaires. « C’est qu’on ne parlait que de Paris ! » Lorsque Marie Huguenin, animatrice de la rencontre au Club de la presse, leur demande d’où lire la suite
L’ancien maire d’Eysines et son amie historienne ont présenté leur livre commun sur les événements d’il y a cinquante ans. Un ouvrage fort documenté, qui rappellera bien des souvenirs aux Bordelais devenus septuagénaires.
« C’est qu’on ne parlait que de Paris ! » Lorsque Marie Huguenin, animatrice de la rencontre au Club de la presse, leur demande d’où vient cette idée de faire un livre sur « Mai 68 à Bordeaux », Pierre Brana, ancien maire et député, et Joëlle Dusseau, inspectrice générale d’histoire-géographie puis sénatrice, hissent la bannière régionale. « Il s’est vraiment passé quelque chose à Bordeaux, dit l’ancien maire d’Eysines. Il y a eu des initiatives propres à la capitale girondine. Pour ma part j’étais à l’époque ingénieur et responsable syndical important à EDF avec la CGT. Ce livre a été le plus difficile à écrire à quatre mains, car 50 ans après nous avons refait les débats étudiants/syndicalistes. Mais nous avons essayé d’être le plus historiens possible, afin de bien reproduire ce qui s’est passé ici, avec des archives. Il y en a eu pas mal ! Ensuite, nous avons réalisé une vingtaine d’interviews détaillées d’anciens de mai 68. Un travail qui s’efforce d’être le reflet d’une époque. »
Politiques absents, peu de dégâts
Les auteurs retiennent deux aspects de ce reflet, qui présentent des différences à 50 ans d’intervalle.
« Par rapport aux politiques, estime Pierre Brana, il y avait une véritable vacance du pouvoir : c’est un fait que l’on se f… tous du pouvoir politique, c’est le préfet Delaunay qui était notre interlocuteur. Chaban on l’a vu pour la première fois la nuit des barricades, le reste du temps, jamais ! Le second point est que l’on a parlé de destructions extraordinaires, c’est faux ! Nous avons relevé toutes les déclatrations de dégâts faites auprès de la Ville : on arrive à des chiffres minuscules. La moindre manifestation paysanne depuis a fait dix fois plus de dommages… »
Pour Joëlle Dusseau, qui préparait à l’époque une maîtrise d’histoire contemporaine, « il est évident à Bordeaux, comme en France et à l’international qu’il y a eu un phénomène de génération. Il me semble que chez les salariés, syndiqués qui faisaient partie de cette jeunesse-là, il existait des strates générationnelles. »
La première cassure est selon elle entre hommes et femmes. « Mai 68, c’est un mouvement d’hommes. Ensuite une seconde cassure fut l’incompréhension entre les 18-35 ans et les autres. Enfin, troisième rupture, celle entre étudiants et ouvriers : il n’y avait pas eu d’occupation d’usines depuis 1936. » Pierre Brana observe qu’il était difficile pour les étudiants d’entrer dans les entreprises en grève. « Il existait une peur des syndicats ouvriers de voir toucher à l’outil de travail, qu’il soit abîmé si on laissait entrer des personnes extérieures. Certaines entreprises avaient des cartes de grévistes, et des cartes de 3×8 pour surveiller les machines ! »
Il y avait quand même des rencontres entre les leaders étudiants et ouvriers. « Mais très peu avec les « maos » qu’à Bordeaux on appelait « les Chinois » ! Pour eux c’était une révolution bourgeoise. Les anars, eux, étaient plus durs, plus présents, très surveillés par la police. »
Les deux auteurs ont épluché les rapports de police. Car même si le désordre paraissait régner, l’administration faisait son travail, et produisait des milliers de documents précieux pour les historiens. « Nous avons vu les rapports des Renseignements Généraux, disent les auteurs. Au début, ils portaient essentiellement sur l’action du parti communiste. Très rapidement, ils prennent conscience de ce qu’il faut surveiller davantage les gauchistes, les trotskistes, etc… Ils reçoivent alors une formation accélérée. »
Autre aspect : les phénomènes de violence. Ont-ils été moins importants à Bordeaux et en province qu’à Paris. « Non, dit Pierre Brana, on ne peut avoir conscience aujourd’hui de la violence qui régnait dans la police à l’époque. Il y a une photo de Sud Ouest où l’on voit un CRS qui tape violemment avec son mousqueton sur un jeune. Aujourd’hui il serait mis en examen pour cet acte ! »
Le livre contient au moins deux passages évoquant les médias en mai 68 : page 108, un chapitre intitulé « Les médias : informer ou faire grève ? » et page 223 une enquête de Sud Ouest qui a reçu 5.000 réponses de la région, publiée le 4 décembre 1968. Dans celle-ci, à la question : « Votre existence quotidienne a-t-elle été modifiée à la suite des événements de mai ? » Il y a eu 47,85% de oui et 40, 45% de non. Et le journal demandant « si oui, l’a-t-elle été en mieux ? », la réponse a été de 9,40%, contre 38,45% « en plus mal »…
Mais peut-être convient-il de conclure ici avec une citation à propos des jeunes protestataires, de Gabriel Delaunay, écrivain et ancien préfet en première ligne en 68, mise en exergue de l’ouvrage par les auteurs : « Je ne voudrais pas leur voler leurs espoirs absurdes, car nous avons bien trop besoin de leurs justes colères… »
Jean-Pierre Spirlet
« Mai 68 à Bordeaux », par Pierre Brana et Joëlle Dusseau, Editions La Geste, 237 pages, 29,90 euros.
France 3 Nouvelle-Aquitaine va consacrer une émission à ce livre. En voici le communiqué.
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