A la veille de la Journée Internationale des Droits de la Femme, le Club de la Presse accueillait un débat sur la question des freins à l’égalité femmes-hommes. Animé par Klervi Le Cozic, journaliste, il regroupait Dominique Colin, psychologue, ancienne Déléguée Régionale aux Droits de la Femme, Marie-Christine Lipani, chercheuse au MICA, directrice-adjointe de l’IJBA, lire la suite
A la veille de la Journée Internationale des Droits de la Femme, le Club de la Presse accueillait un débat sur la question des freins à l’égalité femmes-hommes. Animé par Klervi Le Cozic, journaliste, il regroupait Dominique Colin, psychologue, ancienne Déléguée Régionale aux Droits de la Femme, Marie-Christine Lipani, chercheuse au MICA, directrice-adjointe de l’IJBA, Présidente de Médiactuelles-Les Ateliers de l’Egalité et Yves Raibaud, chargé de mission Egalité Femmes-Hommes à l’Université Bordeaux-Montaigne, membre du Haut-Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes.
Le débat auquel participaient en particulier de nombreux étudiants en journalisme, s’est ouvert sur le traitement médiatique du malaise de Myriam El Khomri, Ministre du Travail. Marie-Christine Lipani s’étonne des propos tenus à ce sujet. Elle trouve que, même si les médias ont commis dans l’affaire de nombreux dérapages, « les propos les plus sexistes et désobligeants sont venus des politiques ». Utiliser en particulier le terme « indisposée » était « renvoyer les femmes à leur condition ». Comme lors de l’hospitalisation de Christine Taubira, il s’agit de « montrer que les femmes sont fragiles ». Sous-entendu : « comment confier de telles réformes à des femmes ? ».
Pour Dominique Colin, parler d’« incident domestique », c’est « ramener la femme à l’état de ménagère ». A cette phrase de Jules Verne qui disait que si une femme pouvait faire des études, elle devait aussi « savoir faire le pot-au-feu ». « Confier le Ministère du Travail à une femme avait d’ailleurs fait grincer des dents ».
Et Yves Raibaud d’ajouter : « Sexisme et racisme font d’ailleurs bon ménage » comme en témoigne le très fin « Madame El Connerie » !
Un débat sur les termes « égalité » ou « parité » s’ensuivit.
Utilisé en particulier dans la Loi de 2001 sur la parité en politique, ce terme de « parité » est « dévoyé, pour Dominique Colin, quand on ne veut pas parler d’égalité ». Pourtant « l’égalité est inscrite dans le préambule de la Constitution Française » et a été réaffirmée à plusieurs reprises. Mais on est rebuté en France par le thème de « quota ». On a pourtant placé la barre à 40 % de femmes dans les conseils d’administration du CAC 40 : un « objectif à atteindre ». « L’égalité serait une représentation équilibrée de la société ».
« Le déni serait-il le premier frein à l’égalité ? », demande alors Klervi Le Cozic.
Marie-Christine Lipani qui travaille sur les femmes dans les médias, voit effectivement « un vrai déni de la part des employeurs » de la presse. « Ils se cachent derrière la féminisation de la profession ». Mais combien de femmes à la tête des médias ?
Dominique Colin modère en précisant que « c’est différent dans certains secteurs de l’économie ». Mais quand c’est le cas, c’est souvent « plus pour des raisons démographiques qu’autre chose » ! Même si l’on peut noter des effets d’entraînement dans d’autres secteurs. La Fonction Publique ne lui semble d’ailleurs pas exemplaire en la matière.
Marie-Christine Lipani revient sur la condition des femmes dans les médias. Elle donne des chiffres. Les femmes représentent 46 % des journalistes encartés et seulement 18 % des directeurs. Une évolution a cependant eu lieu : on ne trouve plus seulement les femmes dans les rubriques féminines, mais dans toutes les rubriques. Il y a désormais beaucoup de femmes grands reporters. « Mais le plafond de verre est bien là comme dans d’autres types d’entreprises ».
A la question de savoir si les femmes ne se freinent pas elles-mêmes dans leurs ambitions, Marie-Christine Lipani répond qu’elle pense que oui, même si « c’est encore plus sensible dans le domaine de la politique que dans celui des médias ». Pour les journalistes, « la précarité de la profession fait que les jeunes, femmes et hommes, ne se projettent plus ».
Yves Raibaud pense que l’on manque de chiffres pour bien sérier le problème. Pour lui, « la question du genre est souvent traitée comme secondaire ». « C’est rarement de l’auto-censure » mais plutôt « un effet massif qui dissuade ».
Dominique Colin donne des exemples de cette pression sociale. Elle montre que l’on peut la surpasser en mettant en place des pratiques non-discriminatoires : elle donne en exemple le recrutement des solistes d’orchestre qui se fait, depuis quarante ans aux Etats-Unis, avec des candidats qui jouent cachés derrière un paravent et ne sont donc pas vus par le jury. Elle montre comment, chez nous, les filles, désireuses par exemple de poursuivre des carrières scientifiques, ont intégré les difficultés qui les attendent. « C’est un phénomène d’imprégnation », précise la psychologue.
Alors constate-t-on tout de même des progrès ? Oui, mais à condition de rester attentif car rien ne semble acquis jamais en ce domaine.
Pour Yves Raibaud, des politiques volontaristes montrent leurs effets. Ainsi le travail réalisé au niveau de l’Université, en particulier en matière de harcèlement sexuel, semble donner des résultats.
C’est là effectivement une question importante des rapports Femmes-Hommes pour Dominique Colin – la loi date de 1992 – mais pas assez étudiée et ne donnant pas assez lieu à sanctions.
Marie-Christine Lipani donne des exemples de traitement de cette question dans les médias : « on minore par les titres les exactions sexuelles ».
Et pourtant, un travail sur les stéréotypes est généralement fait dans les écoles de journalisme même si cela n’apparaît pas comme une obligation dans le référentiel des contenus obligatoires.
L’étude de 2015 sur la représentation des Femmes dans les médias que vient de publier Le Journal du Dimanche montre, en France, une régression, ces cinq dernières années de la représentation des femmes dans la presse. 83 % des experts auxquels les médias font appel sont des hommes. Ceux-ci apparaissent dans 78 % des sujets d’actualité. 70 % des portes-parole sont des hommes. Lorsqu’on interroge des ingénieurs, on s’adresse à des femmes dans 2 % des cas seulement, etc.
Pourtant ces discours dans les médias constituent le véhicule de la construction de l’identité des jeunes. Sans oublier l’effet souvent négatif des images de publicité…
A une question de la salle, sur la dimension européenne du problème, Dominique Colin a fait ressortir que même dans les pays les plus avancés en matière de respect de l’égalité femmes-hommes, l’ouvrage était à remettre éternellement sur le métier. En ce qui nous concerne, cela passe d’abord par l’école où la résorption des inégalités sociales est bien trop faible aujourd’hui (la France apparaît au 26ème rang européen !).
La Fédération Européenne des Journalistes vient de lancer « Stand Up for Equality ». Il est plus que temps.