Même si le sujet n’est pas nouveau, la détresse des cadres apparaît désormais au grand jour, comme l’augmentation des suicides dans cette catégorie socio-professionnelle l’a révélée. Les TIC ne sont pas pour rien dans l’impression d’être sans cesse pressuré et surveillé. Les études se succèdent désormais à un bon rythme pour évaluer les risques liés lire la suite

Même si le sujet n’est pas nouveau, la détresse des cadres apparaît désormais au grand jour, comme l’augmentation des suicides dans cette catégorie socio-professionnelle l’a révélée. Les TIC ne sont pas pour rien dans l’impression d’être sans cesse pressuré et surveillé. Les études se succèdent désormais à un bon rythme pour évaluer les risques liés à cette nouvelle situation. C’était le cas à Bordeaux, lors des 3èmes journées de l’ORRPSA* où plusieurs enquêtes ont été produites.

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Qu’introduisent les TIC de nouveau dans le travail des cadres ? Pour Valérie Carayol, directrice du MICA : « une intellectualisation plus grande du travail, une intensification des rythmes de travail, une segmentation des tâches, une porosité entre le temps de travail et le temps privé, une surveillance accrue au travail, une déqualification, requalification pouvant entrainer la suppression de métiers, un travail en urgence permanente ». Des constats qui s’appliquent quel que soit le type de métier.

Plusieurs de ces changements sont liés à la notion de temporalité. Cette accélération du temps entraine par ailleurs : « une obsolescence toujours plus rapides des produits, une désynchronisation des rythmes techniques, économiques et sociaux, une accélération de l’activité organisationnelle, une plus grande individualisation de la demande d’adaptation, une prise ne charge collective défaillante ».

Pour corser le tout, la « surcharge informationnelle » se double donc d’une « surcharge communicationnelle ».

Le droit du travail remis en question

Le droit a beaucoup de difficulté à suivre cette évolution accélérée, comme Loïc Lerouge, juriste, directeur du comité de pilotage de l’ORRPSA, le montrera. Sur certains sujets, les TIC remettent en effet en question le droit du travail, comme en ce qui concerne le respect de la vie privée, le temps de travail ou l’isolement des travailleurs.

Le rôle moteur des TIC dans l’économie ne doit pas faire oublier la santé même des cadres. L’employeur a des obligations en la matière : en ce qui concerne le rapport au temps de travail, au lieu de travail, à l’environnement de travail, l’absence de harcèlement managérial, le respect de la personne. Des directives européennes existent sur ce thème depuis 1989-1990. La vidéo-surveillance, par exemple, ne peut se justifier que pour des raisons de sécurité.

Ne faut-il pas désormais parler de « droit à l’isolement » se demande le juriste qui ajoute aussitôt que ceci ne pourrait aboutir qu’après une mobilisation collective très forte. On n’en est pas là quand on constate que les cadres ne sont, majoritairement, pas consultés lors de l’introduction de nouvelles TIC dans leur entreprise !

 

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Une enquête est en cours sur ces questions menée dans le cadre d’un projet financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) intitulé « Devotic » (Déconnexion volontaire aux TIC) et auquel participent plusieurs universités dont Bordeaux et Pau. Cette enquête a recueilli 785 réponses de cadres.

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Les cadres dénoncent une « surcharge informationnelle pendant le temps de travail », précise Nadège Soubiale, maître de conférences à l’ISIC, mais 70 % répondent à leur mail sous 24 heures ! Ils dénoncent une trop grande porosité entre leurs sphères professionnelle et privée mais 71 % répondent à leurs mails professionnels en dehors de leurs horaires de travail et même très tard le soir ou très tôt le matin. Ils sont attachés à leur « autonomie dans le travail » mais en disposent de moins en moins. Ils reconnaissent des « bouleversements identitaires », une « densification du travail » mais ne manifestent aucun « comportement ni revendication d’un droit à la déconnexion ». En fait, ils reconnaissent les risques mais ne les internalisent pas !

Plus ils sont près de la direction et moins ils contestent.

L’absence de dialogue social

Pour Bernard Salengro, médecin du travail et syndicaliste (CFE-CGC), c’est la situation d’assujettissement du cadre qui explique tout. D’autant que la France arrive bonne dernière des pays industrialisés en matière de dialogue social. Nous connaissons pourtant une révolution du travail tertiaire aussi forte qu’a été le passage des ouvriers au travail à la chaîne.

Aujourd’hui, selon une enquête réalisée régulièrement par son syndicat, seulement 5 % des serveurs d’entreprise cessent de transférer les mails après 20 h. En matière de relations humaines, les logiciels de gestion intégrée (ex. ERP) sont mal vécus. « L’accès à la connaissance est bouleversé. Le cadre n’est plus le porteur de connaissance. Le monde de l’encadrement est déstabilisé ».

Selon lui, « il faut faire d’abord confiance aux gens ». En France, un salarié propose rarement de son propre chef une amélioration de process ou la solution à un problème de l’entreprise. Car « il n’y a pas d’égalité des droits dans l’entreprise. D’autres formes de management sont pourtant possibles ».

Philippe Loquay

*Les 3èmes journées de l’Observatoire Régional des Risques Psychomoteurs en Aquitaine (ORRPSA), jeudi 5 décembre, étaient consacrées aux « Cadres face aux TIC : enjeux et risques psychosociaux au travail ». Un sujet traité avec l’appui scientifique des laboratoires MICA (Médiations, Information, Communication, Arts)de l’Université Bordeaux Montaigne et Comptrasec (Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, Université de Bordeaux 4 Montesquieu et CNRS) qui a fait le plein de l’amphithéâtre du Pôle Juridique et Judiciaire de Bordeaux).

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