Les réseaux sociaux s’imposent naturellement dans le débat sur les médias aujourd’hui, qui plus est lorsqu’on s’intéresse aux jeunes générations.
Le moyen de diffusion a toujours façonné la manière dont l’information est délivrée au public, les réseaux sociaux n’échappent pas à la règle. Ces plateformes sont à présent dans une position hégémonique qui attire une part de plus en plus grande de l’énergie des rédactions, surtout lorsqu’il s’agit de s’adresser aux jeunes. Ainsi la table ronde « Rajeunir les médias : nouveaux tons, nouveaux formats » a réuni des journalistes spécialisés sur les réseaux sociaux pour discuter de l’impact de ces plateformes sur leur travail.
Quand on pense réseaux sociaux on pense toujours format court, à l’image du podcast « ça dit quoi ? » de France Info qui vise les 18-30 ans et résume l’actualité de la journée en 5 minutes. Mais ce serait oublier la plateforme Twitch sur laquelle France Info a également lancé « Le Talk », qui dure deux heures, avec des invités. C’est ce qui pousse Anaïs Carayon (Directrice de la rédaction d’Urbania France) a rappelé que « le format est certes imposé par les plateformes, mais il y a beaucoup de plateforme qui sont ouvertes à différents types de formats. »
Une parole libérée, pas toujours bienveillante
Pauline Pennanec’h (responsable des podcasts France Info) explique que, actant le fait que la moyenne d’âge de l’audience de France Info est autour de la cinquantaine, la rédaction s’est mobilisée pour créer ces nouveaux formats ciblant directement les jeunes. « Nous cherchons aussi à mettre en place une interaction avec notre audience, notamment en intégrant des messages vocaux d’auditeurs. »
Cette interaction n’étant pas toujours bienveillante, un court débat sur la violence des commentaires a naturellement pris forme, démontrant que les campagnes des « armées de trolls » s’abattent de manière asymétrique sur les différents intervenants.
Paul Larrouturou (reporter politique pour TF1 Info) observe pour sa part une libération de la parole depuis le 07 octobre 2023 « qui fait qu’on est automatiquement considéré comme un parti pris, quelque soit le discours véhiculé ». Puis il revient sur le feuilleton « Colombe » cette militante RN qu’il a interviewé à l’occasion d’un meeting du parti à Perpignan. « Elle me raconte sa vie, très vite elle se met à pleurer, je poste sur mon compte perso parce que ce format n’était pas prévu pour TF1 Info. »
L’affaire prend de l’ampleur et se répercute directement sur la vie de Colombe, bénévole aux Restos du Cœur, qui se voit remercier par l’association. Ce qui l’amène à dire au téléphone au journaliste « vous avez ruiné ma vie ». Elle sera réintégrée à l’association après la publication d’un second témoignage. Avare en auto-critique, le journaliste de TF1 concède « je considère que si je deviens le sujet, c’est que j’ai mal fait mon travail. Aujourd’hui je me retire de l’image, je cherche à partager le regard des gens. »
Mehdi Khelfat (Chef de rédaction, Référent info « Nouvelles générations » RTBF) dénote par son énergie débordante dans ce panel quand il explique que la RTBF n’a pas attendu les réseaux sociaux pour chercher à s’adresser aux jeunes : « un tournant stratégique s’est opéré il y a environ 25 ans, suite à l’affaire Dutroux quand tout le monde s’interrogeait sur la manière de s’adresser aux enfants. Notre service public a alors créé un journal tv pour enfants. Plus récemment nous avons lancé Tarmac qui vise les ados et jeunes adultes puis « mis à jour » qui est un compte Tik Tok qui vise les 12-16 ans. »
Mais pour lui, au-delà du ton ou du format : « La problématique principale dans cette bascule reste que sur les réseaux sociaux nous n’avons plus la maîtrise de notre antenne. Notre métier est de rapporter la réalité et la censure qui s’opère sur ces plateformes nous pousse à modifier cette réalité. » Paul Larrouturou le rejoint en décrivant cette censure automatique « très impressionnante ». Répondant à une question du public, Anaïs Carayon raconte qu’Urbania a posté une vidéo décrivant l’aspect implacable de cette censure sur Tik Tok, vidéo qui elle-même a fait les frais de cette censure.
Une situation qui pousse Mehdi Khelfat à un appel à la solidarité entre médias pour résister à cette censure et à annonce « nous sommes en discussion avec d’autres services publics d’autres pays pour collaborer à un réseau de service public fonctionnant avec un algorithme différent qui ne fasse pas remonter le pire. »
Texte : Jordi Lafon, journaliste et membre actif du Club
Photo : Timothée Giminez, étudiant en journalisme à l’IJBA et membre actif du Club