Dans un contexte propice à la libération de la parole et à la valorisation de la santé mentale, les « reporters de guerre » figurent en première ligne de ce besoin urgent d’évolution des mentalités.. La thématique, délicate mais salvatrice, a été abordée dimanche dernier.
En se confrontant chaque jour à la noirceur du monde, les journalistes de guerre représentent, avec les éditeurs de photographies chargés du traitement de leur image, une population davantage exposée au syndrome de stress post-traumatique (SSPT) .« Il est compliqué de parler pour nous. En montrant nos failles, nous prenons le risque de perdre notre place, de ne pas repartir et de ne plus exister. Nous côtoyons pourtant le pire de l’humanité dans notre métier. Nous voyons des choses horribles et les édulcorons pour protéger les spectateurs ou lecteurs ». Émue, Elizabeth Dévrillon, grande reporter et réalisatrice, confie au public attentif du FIJ les cicatrices encore ouvertes de plus de trente ans passés à couvrir la guerre. Faute (grâce ?) à sa « carapace fissurée » ou peut-être à un simple trop plein, son déclic survient à son retour d’Ukraine, un voyage pendant lequel elle a dédié plusieurs jours à interviewer des femmes sur les viols qu’elles avaient subis. « Quand je rentre en France, j’essaie d’en parler. Mais je me confronte à un mur. Car si quelques grands groupes ont mis en place des démarches accompagnantes, les indépendants qui retournent en studios de montage après plusieurs semaines à vivre la guerre, se retrouvent face à la solitude. »
Jean-Marc Mojon, adjoint à la rédaction en chef centrale chargé de la sécurité à l’AFP, également invité à cette table-ronde, a été reporter pendant vingt ans. Il est le premier en France à avoir mis en place, à l’échelle de l’ensemble du réseau AFP, un système interne dédié aux problématiques de santé physique et psychologique. « Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de placer la conversation de la santé mentale au cœur des débats et des rédactions. Il faut comprendre que le premier réflexe du journaliste, c’est de cacher sa souffrance et sa vulnérabilité » explique-t-il.
Les victimes indirectes, loin de Kaboul et du Donbass
Reconnu sous le nom de « syndrome de stress post-traumatique » (SSPT), ce type de trouble anxieux développé se définit comme une confrontation avec la mort ou à une situation traumatisante portant atteinte à l’intégrité physique (tels qu’une blessure ou un viol). Si cette réaction peut atteindre des journalistes en « contact direct » dépêchés sur des zones sensibles, Jean-Marc Mojon rappelle pourtant la part majoritaire de « victimes indirectes » fragilisées dans leur travail quotidien. « Le simple fait d’être exposé à des récits ou à des témoignages, le traitement d’images violentes relevant de détresse humaine, la nouvelle de la mort ou d’une blessure d’un collègue… Ces événements multiples peuvent entraîner un état de stress post-traumatique ».
Soumis toute la journée à des images violentes sur grand écran, les éditeurs de photos peuvent également être déstabilisés par le décalage existant entre leur vie, à priori tranquille, loin des théâtres de guerre, et l’horreur des photos et vidéos à laquelle ils sont confrontés. « Ces personnes ne se sentent pas légitimes à déclarer leur détresse, en comparaison avec leurs collègues à Kaboul ou dans le Donbass » complète Jean-Marc Mojon.
Si le SSTP peut-être le fruit d’un événement traumatisant, le coordinateur de la sécurité de l’Agence France Presse (AFP) rappelle par ailleurs les spécificités du syndrome, qui a tendance à s’installer imperceptiblement. « Au retour d’un reportage traumatisant, on peut ressentir une série d’émotions qui sont normales. La tristesse, des pleurs, des formes de reviviscence… C’est une séquence presque classique à traverser, à condition que les symptômes s’espacent, puis s’estompent jusqu’à disparaître. S’ils ne disparaissent pas, on parle de SSTP. Si le syndrome s’installe pendant au moins trois mois, le trouble devient chronique ».
Apprendre à se protéger
Face à une profession en souffrance, parfois réticente à l’idée de se confier et coutumière de l’image d’Épinal du reporter de guerre en blouson de cuir et à la solidité à toutes épreuves, les lignes semblent pourtant évoluer. Jean-Marc Mojon insiste ainsi sur l’importance de la formation des jeunes professionnels de l’information et de la préparation psychologique à leur apporter avant leur départ. « Des grands groupes comme l’AFP ou France TV ont les moyens de financer des cellules psychologiques ou d’établir des partenariats avec des organismes qui leur mettent à disposition des équipes de psychologues. Ce n’est pas le cas des rédactions de plus petites tailles. Il faut donc mesurer toute l’importance de sensibiliser les équipes à ce syndrome ». Au-delà de cette libération nécessaire de la parole pour normaliser la problématique, des formations en ligne accessibles aux journalistes leur apprennent des réflexes simples à mettre en place pour minimiser leur exposition aux images, avant même de les sélectionner : réduire leur taille, la luminosité de l’écran, couper le son d’une vidéo…
Exit donc, les « débriefs autour d’une bonne bière », cette manière de faire implicitement répandue pendant plusieurs dizaines d’années au cœur des rédactions, particulièrement inappropriée pour une cible naturellement sujette, comme le rappelle de concert les invités de la table-ronde, à des problématiques d’addictions. En parallèle de ces « bonnes pratiques » à diffuser, l’importance d’une prise de parole de « grandes figures » de la profession journalistique peut aussi influencer les consœurs et confrères hésitant à déclarer leur trouble à leurs responsables. A l’image de Patrick Paz, photoreporter à l’AFP, qui a couvert pendant plus de trente les conflits internationaux. Victime, lui-aussi, d’un SSTP, il a décidé d’en parler librement à sa rédaction et sillonne depuis le réseau AFP pour sensibiliser à la santé mentale.
Texte et photo : Laurène Secondé, journaliste et membre active du Club