Le Bureau des Médias de l’institut bordelais a organisé une séance de travail avec trois journalistes sur les enjeux de la profession dans le domaine de l’investigation et des enquêtes locales. En présentant notamment « les formats, les lectorats et les défis des médias libres ». Ils étaient trois, à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux, à animer lire la suite

Le Bureau des Médias de l’institut bordelais a organisé une séance de travail avec trois journalistes sur les enjeux de la profession dans le domaine de l’investigation et des enquêtes locales. En présentant notamment « les formats, les lectorats et les défis des médias libres ».

Ils étaient trois, à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux, à animer une table-ronde le 21 novembre pour faire le point sur un aspect important du travail des journalistes. Nina Tapie est présidente du Bureau des Médias de Sciences-Po, et Mathias Corrasco et Théo Meneghello sont ses vice-présidents. Ils avaient invité Simon Barthélémy, rédacteur en chef de Rue 89 Bordeaux, Marie-Christine Lipani, enseignante-chercheuse spécialiste des médias et directrice adjointe de l’IJBA, et Fabien Pont, le médiateur de la rédaction de Sud Ouest.

Il revenait à celui-ci de rappeler tout d’abord ce qu’est un médiateur dans le monde des médias. « A l’origine, c’est le Washington Post, aux USA, qui a créé cette fonction le premier. Il s’agissait de répondre à toute personne qui se posait des questions sur un titre, une “une“, un sujet traité par le journal. » Aujourd’hui Sud Ouest publie une page hebdomadaire avec le médiateur, « car nous pensons qu’il est important qu’un journal puisse se critiquer : c’est ainsi que l’on peut maintenir notre indépendance. »

Le premier thème d’interrogation des étudiants était « Les médias indépendants sont-ils une solution à la crise des médias de masse ? »

Pour Simon Barthélémy, « nous constatons une érosion dans tous les titres traditionnels, à part quelques journaux parisiens et la presse quotidienne régionale qui garde une diffusion importante. »

Rue 89 est indirectement financé par des titres de presse, puisque les journalistes qui l’ont fondé à Paris et dans d’autres villes ont consacré leur prime de licenciement à sa création. D’autres médias numériques sont nés de cette façon : « ainsi Edwy Plenel a créé Médiapart en quittant Le Monde. »

Rue 89 Bordeaux s’est lancé au moment où l’Obs a racheté Rue 89 Paris. « Mais nous n’étions pas une antenne de la rédaction nationale et n’avions pas de lien économique avec eux. Depuis, à Paris, ils sont revenus sur l’ADN de départ. Ils donnent la parole à des journalistes, mais aussi à des experts ou à des blogueurs. Les deux autres Rue 89, à Bordeaux et Strasbourg se sont développés avec l’idée de garder cet esprit-là.»

Médias chartés ou pas

Marie-Christine Lipani, qui a été journaliste et est maître de conférences à l’IJBA, rappelle des chiffres intéressants. « Il faut savoir tout d’abord que sept milliardaires en France contrôlent des groupes de presse. On en était à près de 4.000 titres en kiosque, mais cela baisse. Sur l’aspect local, il y a selon une étude de Medialab, 1.446 rédactions locales en France, tous médias confondus, presse, radio, TV. » Elle estime que « les médias locaux participent énormément au renouvellement du journalisme, même si en termes de représentation chiffrée, on ne peut pas comparer une rédaction de 400 personnes, à une autre de deux ou trois journalistes. Mais tout l’enjeu pour les médias dits “de niche“ est de ne pas rester dans un secteur fermé. »

Simon Barthélémy fait observer que « ces médias peuvent sortir des informations importantes qui ne seront pas forcément reprises par les grands médias ». Il attribue cela à « une certaine condescendance des grands envers les petits. »

Fabien Pont veut s’élever contre un terme sur lequel il n’est pas d’accord : « Le mot “radio libre“ ou “journal libre“ : quand on dit cela, est-ce que ça veut dire que les autres médias sont enchaînés ? ». Il préfère parler de « médias chartés ou pas », c’est à dire dotés d’une charte qui préserve l’indépendance et les droits des journalistes. « Et là, dit-il, s’il y a un millardaire propriétaire, cela crée un contre-pouvoir. » Il donne l’exemple du Monde, détenu par un milliardaire, mais qui dispose d’une charte, d’une société de rédacteurs, d’une société des lecteurs, etc… « Même chose à Sud Ouest, où l’on a charté la liberté de critiquer de la rédaction. Ceux qui voudraient faire de même peuvent s’inspirer de la Charte de Munich, qui est très bien faite. »

Simon Barthélémy remarque que le terme “médias libres“ est revenu dans le débat avec l’essor d’Internet et des mouvements altermondialistes. « Mais alors, demande Fabien Pont, ces médias font-ils de l’information ou du militantisme ? » et il rappelle que le plus grand des médias en France, France Télévisions, est détenu par l’Etat. « Ce qui ne pose pas de problème au Royaume-Uni, où la BBC est louée pour sa rigueur et sa déontologie, alors que c’est l’Etat le patron. »

Marie-Christine Lipani souligne « qu’un média est dépendant de son public. Les médias dits “libres“ se sont positionnés sur les contraintes du marché. »

La suite de la table-ronde abordera aussi le problème du financement des médias, grands ou petits. Rechercher l’info, la vérifier, trouver de nouvelles sources coûte cher. Et Internet ne rapporte pas assez. « Mais l’information n’a jamais rapporté beaucoup, » note Marie-Christine Lipani, citant les travaux du sociologue des médias Patrick Eveno. Le rédacteur en chef de Rue 89 Bordeaux rappelle que « les GAFA absorbent une grande partie du marché publicitaire. Nous, quand on s’est lancés, on a eu l’idée de faire du journalisme sur le modèle des gratuits, 20 Minutes ou Metro. Cela n’a pas marché. Si nous n’arrivons pas à augmenter notre diffusion nous allons mettre la clé sous la .porte, même si c’est déjà notre sixième anniversaire. »

Mais alors quelles solutions s’offrent aux uns et aux autres ?

« Là où nous avons des raisons d’espérer, déclare le médiateur de Sud Ouest, c’est quand on voit ce qui se passe à l’étranger. Sur le Net on peut faire un nombre infini de pages, 300 pages, des cahiers spéciaux, et les gens s’abonnent. Mais cela veut peut-être dire : pas d’ouvriers du Livre et 350 journalistes au lieu de 250... »

Par contre, le rôle des chaînes d’info en continu pourrait être différent : « Ce n’est pas parce qu’elles vont dire quelque chose très vite que ce sera forcément vrai. Il y aura toujours un temps pour la vérification et la formulation. »

Simon Barthélémy estime que « ce que les gens vont chercher, c’est ce qui est nouveau. Il y a une course à sortir quelque chose le plus vite possible sur Internet. Mais le journalisme, ce n’est pas que le scoop, c’est la grosse investigation.» Et Marie-Christine Lipani prédit que « la réponse à la crise n’est pas qu’économique. Le Web apportera l’invention de nouvelles narrativités, de nouveaux formats. »

(Photo Guillaume Marchal)

CONTACTS

Bureau des Médias de l’IEP de Bordeaux, mail : www.bdmsciencespobordeaux@gmail.com

Prochaines tables-rondes : le 10 décembre, visionnage du film d’Anne-Sophie Novel « Les médias le monde et moi » ; le 6 janvier avec Yann Bronco, « Les Gilets Jaunes et les médias » ; le 28 février, avec le correspondant du Figaro en Espagne, « La situation des médias en Catalogne ».

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