Isabelle germain au Club pour une conférence sur les femmes dans l'information

La journaliste et autrice Isabelle Germain est venue au Club évoquer son livre Journalisme de combat pour l’égalité des sexes paru l’an dernier. Ce combat médiatique, elle l’a mené dans les rédactions économiques et aujourd’hui, sur son propre pure player : Les Nouvelles News. Elle y pointe les manquements des médias lorsque leurs contenus traitent des femmes, et les répercussions que ce « mâle-traitement » engendre sur la société.

Par Justine Vallée

« Vous êtes mal vue dans une rédaction si vous êtes féministe, » assène Isabelle Germain. Venue au Club ce 15 septembre pour évoquer son site internet LesNouvellesNews.fr et son livre Journalisme de combat. La plume dans la plaie du sexisme, l’autrice sait de quoi elle parle lorsqu’elle prononce cette phrase.

« On n’est pas formatées pour attaquer », rappelle-t-elle. Le titre de son quatrième ouvrage paru en 2021 lui a d’ailleurs été soufflé par son ancien salarié, la remerciant pour ces dix années de « journalisme de combat » au sein du pure-player : « On combat les idées nauséabondes infusées par d’autres journaux, mais je ne me le suis jamais formulé comme ça. »

Journaliste pour la presse politique et générale, puis économique, depuis 1990, Isabelle Germain ne cache pas son engagement pour « un autre genre d’information ». L’écrivaine a activement pris part à l’Association des Femmes Journalistes (AFJ), qu’elle a présidée de 2001 à 2005. Dissoute en 2014 avant que le relai ne soit passé à Prenons la Une, l’AFJ travaillait sur la (sous-)représentation des femmes dans les médias.

Isabelle Germain a créé en 2011 le site Les Nouvelles News ; journal en ligne « engagé pour qu’advienne l’égalité dans le contenu de l’information et donc, dans la société », y relate-t-elle. Au Club, elle développe : « L’égalité dans les médias est la mère de toutes les bataille pour l’égalité car c’est à ce modèle que l’on se conforme. »

Les femmes, anonymes ou victimes

Les chiffres de l’étude menée par l’AFJ parlent d’eux-mêmes. En 1995, les médias français d‘information générale ne citent que 17% de femmes. Lors de la même étude menée cinq ans plus tard, ce chiffre augmente pour atteindre…18%. Elles représentent 24% de l’espace médiatique en 2015.

Dans les rares fois où les femmes sont citées dans les articles, elles sont essentiellement stéréotypées : « Le plus souvent, lorsqu’elles ont un lien de parenté avec le monsieur qui est le héros de l’information : maitresse, fille, épouse… », relate Isabelle Germain, ou « lorsqu’elles sont victimes de quelque chose, avec des hommes qui leur portent secours », et 3e cas de figure, en tant que témoins anonymes. Les hommes, près de 80% de la surface médiatique, sont en général cités avec leur nom et fonction, plutôt dirigeants, héros ou experts. Isabelle Germain en rendait déjà compte en 2007, dans un rapport du Sénat.

LesNouvellesNews donne quelques exemples, trop nombreux pour que l’on ait pu les citer. Parmi eux, un papier du Figaro sur la réparation de Notre-Dame, dans lequel des hommes se muent en architectes tandis que les femmes pleurent ce monument ; un article du Parisien qui interroge des hommes sur le « monde d’après » quand les femmes, anonymes, ont droit à des reportages sur la situation de l’hôpital ; ou encore la Une de Sud-Ouest qui présente les personnalités de 2014 et donne à voir Obama ou un chef d’orchestre aux hommes contre Nabila ou Valérie Trierweiler aux femmes. Pourtant, cette même année, deux d’entre elles se sont vues attribuer un prix Nobel.

L’impact du traitement médiatique sur la société 

« Quand j’ai créé Les Nouvelles News, je ne m’imaginais pas que c’était à ce point subversif ! », s’exclame la journaliste. Sa ligne éditoriale : chasser les stéréotypes. Comme dans son livre, Isabelle Germain et l’équipe qui l’entoure dénonce, rubrique par rubrique, la façon dont les femmes sont évincées de l’information.

Sans surprise, en économie comme en politique, les hommes sont majoritairement représentés car les dirigeants y sont plus nombreux. L’idée ayant infusé dans la société, la tendance n’est inversée que grâce aux quotas. Elles sont absentes, sexualisées ou stéréotypées dans les rubriques sportives et culturelles. Quant aux articles évoquant les violences faites aux femmes, ils se focalisent sur l’agresseur, voire lui fournissent une justification. Ces modèles genrés créent un « cercle vicieux des stéréotypes », déplore Isabelle Germain : femmes et hommes « se conforment à ce qu’ils et elles voient dans les médias et en s’y conformant, le confirme ».

 « Les questions qu’on pose, nous, journalistes, ont un impact terrible sur l’image qu’on va renvoyer des hommes et des femmes », souligne Isabelle Germain. En tant que cheffe de service à l’Usine Nouvelle, la journaliste a pu voir de près la façon de traiter des femmes dirigeantes. Ces dernières sont sexualisées, présentées comme sadiques ou interrogées sur leurs enfants, quand les hommes peuvent développer sur leurs projets. La représentation qui en est faite « dissuade plein de femmes d’aller vers ces postes de pouvoir », déplore-t-elle ensuite.

Cela se perçoit également dans les rédactions, où les femmes sont majoritaires. Selon une étude d’Audiens datée de 2021, elles représentent 52,3 % des salarié·es de la presse. Les femmes demeurent cependant minoritaires dans la masse salariale versée à ces employé·es, ne pesant que pour 46,1 % du total : « Dans la presse et les productions audiovisuelle et cinématographique, les femmes sont
majoritairement représentées chez les non-cadres », relève l’étude. Isabelle Germain propose quelques formations « pour agir sur les comportements », bien que les demandes émanent peu du sexe masculin, pourtant premier concerné.

Des pistes d’amélioration ?

L’intervenante observe que « la seule chose que peuvent faire les pouvoir publics, c’est arrêter de financer les médias qui alimentent les stéréotypes ». L’ancienne membre du Haut Conseil à l’égalité Femmes-Hommes et présidente de sa commission « stéréotypes » a participé à un rapport parlementaire conduit par Christine Calvèz et cette idée d’ « éga-conditionnalité des aides à la presse » – conditionner le financement à des critères de parité – commencerait à faire son chemin.

Isabelle Germain note un – lent – changement : « Merci internet et les réseaux sociaux, les féministes ont pu s’exprimer ! Auparavant, c’était impossible. À l’AFJ, lorsqu’on était frappé du sceau de l’infamie féministe, on ne nous écoutait pas. » Les raids féministes s’en prennent aux articles. Mais à l’inverse, les masculinistes, qui disposent de plus de moyens, se montrent aussi très présents. En témoigne le récent article au sujet d’Adrien Quatennens publié sur Twitter. Les Nouvelles News reste peu attaqué : « On est plus méprisées que menacées et c’est encore pire. »

Outre les réseaux sociaux, la lente marche vers l’égalité fait un bout de chemin : l’emblème des critiques de Télérama qui cède la place à une femme début 2022, l’Académie des Césars qui devient paritaire, un vocabulaire qui progresse, des expertes plus visibles dans les médias grâce au site éponyme auquel plusieurs journaux adhèrent. Sur ce dernier, Isabelle Germain regrette que « des femmes bénévoles » soient amenées à « faire le carnet d’adresse » des journalistes.

Lorsqu’il s’agissait en 2014, par l’article 16 bis du projet égalité, d’introduire des formations obligatoires à celle-ci dans les écoles, levée de boucliers instantanée ! Pourtant, aujourd’hui, elles s’en saisissent : l’Institut de Journalisme de Bordeaux-Aquitaine évoquera ces questions dès la rentrée prochaine, avec Isabelle Germain. Des jeunes mieux (in)formés sur ces questions, des femmes qui se font entendre, les leviers existent pour transformer ce cercle vicieux en cercle vertueux. « Il faut que les femmes deviennent objets désirants, pas juste objets du désir, et les médias ont un grand rôle à jouer dedans », conclut Isabelle Germain.

>> Replay de la rencontre au Club à retrouver sur notre chaîne Youtube.

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