Malgré les fortes chaleurs annoncées, les festivaliers étaient bien au rendez-vous en ce week-end du 15 juillet à Couthures-sur-Garonne. Au programme : débats, tables-rondes et rencontres sur trois jours autour des thématiques directement choisies cette année par les festivaliers.
Claudia Courtois, ancienne Présidente et aujourd’hui membre active du Club de la Presse de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine, s’est rendue sur place pour nous. Elle s’est intéressée de près à la question des médias locaux : quelle identité, quelles spécificités, quelle place leur donner et surtout quel avenir leur souhaiter…
Les médias locaux sont-ils comme les autres ?
Près de la Garonne, à l’ombre des platanes et accoudé aux bottes de paille, un des premiers débats de cette journée du 16 juillet s’est déroulé devant un auditoire attentif d’une cinquantaine de personnes.
À la question « Les médias locaux sont-ils des médias comme les autres ? », les trois invités ont répondu de concert que le lien de proximité des médias locaux faisait leur spécificité et leur force, que l’on soit un hebdomadaire de territoire comme Le Républicain (groupe Publihebdos), un groupe de télévision publique comme France 3 Nouvelle-Aquitaine, ou un média en ligne d’investigation des Bouches-du-Rhône comme Marsactu.
Proximité des médias, proximité des journalistes : « Un journaliste implanté sur le territoire sent mieux ce qui se passe », assurent, de concert, les trois débatteurs. « Quand on est journaliste local, on est à fond sur le terrain », ajoute Michel Pradeau, journaliste au Républicain depuis plus de 20 ans. On ne peut pas trahir la parole des gens. »
Les gens ont besoin d’une presse qui les aide et pas toujours anxiogène.
Michel Pradeau
Besoin d’une presse qui aide les gens
Malgré des audiences aléatoires et la baisse des ventes au n° comme démontré dans l’autre table-ronde à laquelle le Club de la presse a assisté (voir plus bas), les médias locaux rencontrent encore leur auditoire pour plusieurs raisons : « Etre là au bon endroit au bon moment, traiter des sujets qui correspondent à l’air du temps et sans trop de sujets anxiogènes », résume Charles Bobe, conseiller information et programmes pour France3 Nouvelle-Aquitaine. »
Selon Michel Pradeau, le fait divers, c’est ce qui marche le plus mais, tempère-t-il, ici, les gens ont besoin d’une presse qui les aide et pas toujours anxiogène. »
Faire des propositions pertinentes
Est-ce une spécificité ? Le rapport aux pouvoirs locaux est toujours plus problématique en local : plus de proximité, un ancrage depuis des décennies créént des relations sur du long terme avec les acteurs socio-politiques d’un territoire donc plus de risque de collusion, du moins de faiblesse éditoriale.
Michel Pradeau reconnaît que les pouvoirs politiques essaient de « nous piéger mais on contrebalance par le talent et les innovations. » Le modèle de Marsactu est beaucoup moins institutionnalisé : média en ligne à Marseille qui ne fonctionne que sur abonnement (5000), sa ligne éditoriale est basée sur des enquêtes de fond qui bouscule l’establishment marseillais mais dont la presse régionale se fait rarement l’écho. « Si elle veut continuer à vivre, la presse locale doit se réinventer, assure Jean-Marie Leforestier, le rédacteur en chef de Marsactu. Et c’est aux journalistes de faire des proposions différentes et pertinentes. »
Presse régionale et locale : se regrouper pour survivre ?
Ce débat a commencé par planter le décor, peu engageant : depuis une dizaine d’années, les ventes papier de la presse quotidienne régionale (PQR) sont en baisse, au même titre que la presse quotidienne nationale (PQN) qui subit cette diminution depuis plus longtemps encore. « Moins de lecteurs entraîne moins de ventes au numéro – la première source de financement d’un journal – donc moins d’annonceurs, la seconde source de financement, explique Nathalie Sonnac, économiste spécialisée dans l’économie des médias. Ces dernières années, ces annonceurs se dirigent vers le numérique où sont aussi de plus en plus les lecteurs. » En 10 ans, la PQR a perdu 2300 titres régionaux, soit disparus, soit absorbés par des groupes de presse.
Olivier Plagnol, rédacteur en chef adjoint de Sud Ouest ne dément pas ces difficultés : « Il y a 15 ans, 300 000 exemplaires étaient vendus en moyenne chaque jour contre 150 à 200 000 aujourd’hui [alors que] 70 % des revenus du quotidien proviennent toujours de la vente papier. » Le contexte actuel avec les hausse des matières premières – papier, encre, essence – n’arrangent rien.
L’offre doit passer par l’investigation
Le troisième invité, Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction de Médiacités, un média en ligne d’investigation créé par des anciens de l’Express présent dans 4 villes (hors Bordeaux), pointe d’autres problèmes conjoncturels qui enlisent la PQR : « Les journalistes, de moins en moins nombreux en local, doivent produire de plus en plus. Google capte de plus en plus le marché publicitaire. Les journalistes les plus anciens ont du mal à se changer en journaliste numérique. »
Selon un baromètre de la PQR que Mediacités a sorti en 2019 (300 rédactions contactées), sur 10 ans (2009-2019), les effectifs de journalistes dans la PQR ont baissé de 12,5 %, 108 agences locales ont fermé (l’agence de Sud Ouest en Charente fermera en septembre prochain) et il n’y a plus que 17 départements (34 en 2009) avec une pluralité de supports.
Sous les peupliers du village de Couthures, deux approches se sont alors confrontées sur les solutions à trouver : celle du regroupement et de la diversification d’un groupe de presse pour pouvoir laisser de l’oxygène au journal de poursuivre sa mission d’informer ; soit renforcer la ligne éditoriale en étant plus offensif pour intéresser et fidéliser les lecteurs à travers des enquêtes approfondies et de l’investigation : « La côte d’amour de la PQR dévisse et l’offre doit passer par l’investigation, insuffisante aujourd’hui. », poursuit celui dont le titre doit faire face à 13 procédures judiciaires.
Trouver des activités diversifiées
Nathalie Sonnac tempère cette opposition entre grands groupes de presse sous influence du monde économique et politique et qui fragilisent la qualité du travail journalistique et les plus petits médias indépendants hors champs de la pub et des pouvoirs publics à la ligne éditoriale forcément plus indépendantes : « Pour faire de l’info, aller sur le terrain, trouver de bonnes plumes, il faut de l’argent, souligne l’ex-membre du CSA . Et le modèle économique d’un groupe de presse n’est pas sale a priori : il cherche à trouver des activités diversifiées lucratives [communication, événementiel, édition…] pour permettre de financer des activités qui le sont moins comme l’information. »
« L’essentiel de l’ADN du groupe Sud Ouest, c’est l’information », insiste son rédacteur en chef adjoint. Et si, demain, nous avons encore plus de moyens dans l’éditorial, moi et les journalistes, on ne pourra être que d’accord ! »