tribune 040724

Chaque mois, à travers un billet d'humeur "en aparté", la parole est à nos adhérent·e·s journalistes, qui s'expriment sur leur vision de la profession de l'information et vous partagent leurs réflexions du moment.

« L’info locale a-t-elle encore un avenir ? », s’interrogeait le Club le 22 novembre dernier, à l’occasion d’un débat organisé en off des Tribunes. Autour de la table au marché des Douves, tant les journalistes de « grands » médias représentés que celles et ceux des « petits » titres de presse indé partageait les mêmes constats glaçants : la transition vers le numérique est douloureuse, le jeune public difficile à fidéliser, les modèles économiques fragiles… Conséquences : Sud Ouest licencie des journalistes, tout comme 20 Minutes qui abandonne sa version papier et réduit la voilure sur l’actu locale, la Revue Far Ouest change de formule, la version initiale de Podcastine disparait, Aqui.fr est liquidé… Sans parler des radios associatives qui ont failli perdre leurs subventions de l’Etat, ou de l’audiovisuel public dont le financement public est régulièrement remis en question.

Or l’affaiblissement généralisé de la presse est une menace pour la démocratie. Aux Etats-Unis, l’essor des déserts médiatiques, ces comtés totalement dépourvus de journaux locaux, n’est pas pour rien dans la victoire de Donald Trump. En France, lors des législatives anticipées, les journalistes locaux ont eu un rôle décisif en révélant le passif et les propos racistes, xénophobes et antisémites de nombreux candidats du Rassemblement national. Ce n’est pas un hasard si les médias sont considérés comme un outil idéologique essentiel dans la conquête du pouvoir par l’extrême droite. Les transformations d’iTélé (devenue CNews), puis du JDD malgré les grèves inédites de leurs journalistes, semblent n’avoir pas servi de leçon aux parties prenantes des Etats généraux de l’information, qui ont rendu une triste copie sur les questions de concentration des médias et d’indépendance des rédactions.

Elles ont en revanche alerté les journalistes de Bayard, dont le récent débrayage a conduit la direction à renoncer à nommer numéro 2 du groupe Alban du Rostu, ex bras droit de Pierre-Edouard Stérin, milliardaire désireux de se constituer un groupe de presse pour le mettre au service de l’extrême droite.

Pour se renforcer face au péril politique, la presse n’a pas 36 solutions. Il lui faut se renforcer, en comptant sur une réforme des aides publiques garantissant davantage d’équités entre les titres ; sur des arbitrages des acteurs publics locaux en faveur de l’éducation aux médias et du soutien à la presse plutôt qu’à des actions de communication somptuaire ; et sur l’engagement des citoyens non seulement en tant qu’audience, mais aussi comme mécènes ou sociétaires, par exemple dans une initiative comme Coop Médias. Pour les inciter à le faire, les médias et leurs journalistes ne doivent bien sûr pas oublier ce qu’on attend d’elle : informer dans le sens de l’intérêt général.

Simon Barthélémy, rédacteur en chef de Rue89 Bordeaux et co-Président du Club de la Presse de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine

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