Le Club a organisé le 23 septembre une première rencontre autour de la santé mentale. Animée par Gabriel Taïeb, elle accueillait le sociologue des médias Jean-Marie Charon et Eloïse Bajou, journaliste spécialisée en psychiatrie et précarité « Hier journalistes, ils ont quitté la profession« . Le titre du dernier livre de Jean-Marie Charon est significatif: pourquoi le lire la suite

Le Club a organisé le 23 septembre une première rencontre autour de la santé mentale. Animée par Gabriel Taïeb, elle accueillait le sociologue des médias Jean-Marie Charon et Eloïse Bajou, journaliste spécialisée en psychiatrie et précarité

« Hier journalistes, ils ont quitté la profession« . Le titre du dernier livre de Jean-Marie Charon est significatif: pourquoi le problème du burn-out dans les entreprises épargnerait-il le monde des médias ? Le spécialiste bien connu des études et recherches sur notre profession a donc mené l’enquête, avec une co-écriture d’Adénora Pigéolat aux Editions Entremises. L’ouvrage sort en librairie le 30 septembre, et l’auteur principal était venu le présenter au Club, dans le cadre du programme de rencontres sur la santé mentale mené par Gabriel Taïeb . « Qu’est-ce que le burn-out ? » attaqua d’emblée celui-ci. « C’est un épuisement lié à un épisode professionnel, répond Jean-Marie Charon. Un abattement qui a des répercussions sur la vie au travail, mais aussi sur le sommeil, et peut entraîner parfois de gros problèmes physiques, comme des paralysies. »

Avoir l’avis de psys
Pourquoi un sociologue des médias s’intéresse-t-il à ce phénomène de santé? « Au départ, explique-t-il, nous n’étions pas partis sur le burn-out mais sur la question des journalistes qui quittaient la profession. A cause des contraintes du virus COVID, notre enquête n’a pu se faire de manière habituelle, seulement par des entretiens directs, et nous avons beaucoup utilisé des échanges de mails. C’est ainsi que nous avons rencontré le burn-out : il se trouve que la personne avec qui je travaillais a fait des études de psychologie. Aux réponses recueillies, elle a repéré ce problème. Sur 55 personnes interrogées, un quart souffraient de burn-out. C’était si important que nous avons fait un peu bouger notre méthode. Nous avons vu des médecins, des psys, des spécialistes. Nous avons par exemple suivi de près un groupe de psys de Lyon, Psyprolyon, un organisme qui s’occupe des burn-out. »

Eloïse Bajou, journaliste spécialisée en psychiatrie et précarité, est chargée de l’axe média pour le « Programme Papageno« . « Ce qui est intéressant dans ce travail, estime-t-elle, est de prendre en compte l’ensemble de l’impact sur la vie quotidienne, relationnelle, professionnelle mais aussi familiale. Le burn-out est pour l’instant un phénomène lié au travail, car il y a l’enjeu de le faire prendre en compte comme une maladie professionnelle. »

Et Jean-Marie Charon note que le premier sujet qu’il a vu apparaître dans son enquête est le risque de voir le burn-out se banaliser : arrêt de trois ou quatre jours, puis reprise mais cela peut revenir.  » Une chose qui m’a frappé, c’est la durée : on parle de gens obligés de s’arrêter trois ou quatre mois, il y en avait même un sur deux ans. Et il y a des choses  spectaculaires, comme quelqu’un qui ne pouvait se lever le matin. Ou une autre, qui était sur une autoroute et a dû s’arrêter sur la bande d’urgence et appeler les pompiers, car elle ne pouvait plus bouger. Sans compter ceux dont les angoisses physiques sont bloquées sur de longues périodes. Alors, la réaction des soignants est parfois de dire : mais laissez tomber ce métier! »

« Mais dans votre ouvrage, intervient Gabriel Taïeb, on lit que ce n’est pas spécifique au journalisme?  » Le sociologue confirme que dans d’autres professions, notamment celles dans le soin, ou dans l’enseignement,  cela se produit aussi. « Pourquoi les gens quittent leur travail ? C’est parce qu’il y a un choc entre métier rêvé et métier réel. On constate une surestimation professionnelle qui touche peut-être plus les femmes que les hommes dans le journalisme, mais aussi une dévalorisation, qui peut par exemple venir des réseaux sociaux, ou  de violences provenant du terrain, le fait d’être pris à partie, parfois menacé. C’est le choc entre un fort investissement personnel et la dévalorisation, qui crée parfois le burn-out. »

Obtenir la considération du problème
Eloïse Bajou témoigne de la gravité du problème: « Avec mon ancienne casquette de soignante, j’ai vu d’autres états d’angoisse, de pensées dépressives autour de quelques contextes, et j’ai constaté que d’autres problématiques psychiques pouvaient être associées. » Pour Jean-Marie Charon, le burn-out n’est cependant que peu ou pas du tout pris en compte dans les entreprises. Les deux chercheurs ont rencontré des hiérarchies et aussi des syndicats, des associations de journalistes. « On est beaucoup dans le déni. Nous leur avons demandé ce que leur inspiraient les éléments de notre enquête. Beaucoup ont répondu « c’est anecdotique« , ou « il n’y a pas beaucoup de cas« , ou encore « c’est pareil ailleurs« .

Il y a cependant des groupes de médias qui, par tradition ou vocation de départ, ont un souci accru de leurs employés : le Groupe Bayard Presse par exemple. Mais pour bien d’autres, le problème « n’est considéré que comme un arrêt maladie, qu’il vaut mieux déclarer comme un problème léger. Et beaucoup de cas passent sous le radar« , observe Eloïse Bajou.

A Gabriel Taiëb qui demande si les jeunes sont une catégorie davantage touchée, souvent après cinq ans d’école de journalisme et plusieurs années de piges et de CDD,  Jean-Marie Charon répond que cette situation peut en effet jouer. Il distingue deux tranches d’âge particulièrement menacées : les jeunes, avec la précarité et l’épuisement, et les 40 ans et plus, « qui souvent ne croient pas être concernés. Chez les 50 ans et plus, il y a aussi des gens assez « gradés« , rédacteurs en chef par exemple, mais qui ne peuvent plus assumer la transformation de leur entreprise. Et parfois, on les épuise pour qu’ils s’en aillent. »
L’enquête révèle en outre que les médecins généralistes attachent une importance accrue aux problèmes de burn-out. « Mais les médecins du travail font peu de préconisations, note Eloïse Bajou, et la médecine hospitalière ne voit pas souvent ces patients-là. » Autre phénomène mis en cause dans les entretiens par mail, le harcèlement, professionnel ou sexuel, « mais les syndicats interrogés répondent que cela a toujours existé. Et il n’y a pas vraiment de sanction, car cela reste toujours extrêmement tabou de parler de la souffrance au travail, cela peut avoir des répercussions à long terme sur la carrière. Le milieu journalistique reste très marqué par la performance, l’image du grand reporter avec son gilet à poches. Et souvent la solution est de dire : quittez le journalisme« .
Mais alors, quelles sont les solutions ? La fin du débat tracera plusieurs pistes. La reconversion pure et simple ? Lorsqu’elle se produit, c’est principalement « vers l’enseignement, ou la communication, ou encore des métiers parallèles, comme le marketing. Mais beaucoup disent que si on leur propose  quelque chose de vraiment sympa, ils retournent au journalisme. » Les nouvelles formes d’activité, notamment celles imposées par le virus, comme le télétravail ? « Nous avons posé la question de l’incidence du virus à des journalistes, il y a eu deux sortes de réponses, dit Jean-Marie Charon. Les pigistes et CDD disent que s’il n’y a plus de boulot, ils partent. Et ceux à qui on a proposé du chômage partiel ont dit : plus de boulot, enfin tranquilles ! A noter aussi que confinement et télétravail ont aggravé le problème « métier assis » et on nous dit: ce n’est pas ce que je voulais. » Par ailleurs, certains journalistes ont été obligés d’adapter leur  secteur ou  spécialité, la pandémie supprimant ou augmentant le nombre des événements qu’ils traitaient: ainsi les sportifs, le domaine culturel, celui de la santé, etc…

Sans doute faut-il aussi que les rédactions se soucient davantage des risques de burn-out pour certaines activités et fonctions. Pour Eloïse Bajou, « il faudrait créer un environnement « déstigmatisant », comprendre ce qui a mené à certaines situations, garantir qu’il n’y aura pas de perte de revenus si la personne s’arrête… »
Gabriel Taïeb a conclu la rencontre en remerciant les participants de Bordeaux et aussi ceux intervenus sur Zoom dans la salle du Club, et en annonçant la suite du groupe de parole le mois prochain avec l’association L’Burn.

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