Quelques semaines après la sortie très commentée de la quatrième version du modèle de langage de traitement de texte ChatGPT, son impact sur le métier des journalistes a été très âprement discuté aux Assises de Tours. Voici les débats résumés en quelques points. Une IA intelligente jusqu’à quel point ?

« Toute une mythologie s’est tissée à partir de l’intelligence artificielle (IA). Mais ChatGPT n’est pas une entité intelligente q interagit avec nous, ce n’est même pas une IA qui apprend de ses interactions. ChatGPT a juste emmagasiné toute la connaissance humaine textuelle avant 2021 et fait des liens entre tous ces éléments. L’interface construit des articles par prédiction, comme les claviers de Smartphone proposent un mot quand vous commencez à écrire sur votre clavier. Mais comme un appareil Leica ne fera pas de belles photos s’il est utilisé par quelqu’un qui ne sait pas photographier, ChatGPT ne répondra bien que s’il est interrogé correctement », avance Benoît Raphaël, journaliste spécialisé dans l’intelligence artificielle et l’industrie des médias et fondateur de FLINT, un fil d’info basé sur l’IA.

« ChatGPT n’a pas la capacité de dépasser notre intelligence, mais les liaisons que l’outil fait entre les connaissances, sa capacité d’emmagasinement pose des questions politiques et géopolitiques. Il faut comprendre comment il marche pour rester maître de ses intentions, savoir ce qu’on va y chercher et pourquoi. », estime Asma Mhalla, enseignante spécialiste des enjeux géopolitiques du numérique.

ChatGPT fournit-il une information fiable ?

« Grâce à l’apprentissage par renforcement, fourni par des Hommes qui ont signalé à ChatGPT là où il avait mal répondu, la nouvelle version apporte une rondeur dans ses réponses, avec une vision sociétale bien-pensante et un taux d’erreur moins important, mais qui reste quand même de 30 % contre 40 % dans la version précédente », note Benoît Raphaël.
« La technologie n’est jamais idéologiquement neutre, jamais. ChatGPT a aujourd’hui une capacité
à créer potentiellement un univers de faux de bout en bout, totalement crédible. Il ne s’agit pas de
bidouillage, mais d’une création native de faux, ce qu’on appelle la « subversion » dans le champ
militaire. Cela peut donc en faire un outil massif dans la guerre de l’information, et donc dans la
capacité de polariser, de fragmenter, d’instiller du doute chez l’ennemi. Les démocraties sont de ce
point de vue plus fragiles que d’autres régimes politiques
 », défend Asma Mhalla.

ChatGPT peut-il faire le travail d’un journaliste ?

« ChatGPT, si on l’utilise bien, est comme un jeune étudiant en journalisme qui va être monitoré par
son rédacteur en chef : si on lui demande de réécrire l’article, sa production sera meilleure !
ChatGPT a la capacité d’analyser un texte, d’établir des liens avec d’autres textes, de faire la
différence entre des faits et des opinions, d’opérer des combinaisons, il peut donc amener des
solutions nouvelles. Alors qu’on pensait qu’il n’irait pas sur les tâches complexes,
ChatGPT
présente une capacité à produire des articles pédagogiques, un décryptage… tout un tas de choses
que font les journalistes
 », assure Benoît Raphaël.

ChatGPT va-t-il remplacer les journalistes ?

« Cela devrait pousser le journaliste à penser son job autrement, à s’orienter davantage vers du
journalisme d’investigation
 », commente Asma Mhalla.
« BuzzFeed a déjà annoncé qu’il ferait écrire ses tests et ses jeux par ChatGPT. Avec l’IA, les
revues de presse, la curation vont disparaître. On pourrait imaginer que
ChatGPT décharge les
journalistes de tâches ingrates ou fasse gagner du temps en rédigeant une brève factuelle ou en
reconstruisant des notes. Il pourrait donc rester le meilleur aux journalistes : produire de la
connaissance, réaliser des interviews ou des témoignages. Cependant les médias s’inscrivent dans
un contexte où il n’y a pas d’argent, le risque est donc plutôt que l’outil soit perçu comme un moyen
de faire des économies et de se séparer de journalistes. Tout est dans les mains des patrons de
presse, qui ne doivent pas oublier l’objectif premier du journalisme : produire une information
nouvelle
 », lance Benoît Raphaël.
Gaëlle Ginibrière

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