raconter histoire - Asssises 2025

Quelles dimensions prennent les faits divers, entre divertissement et questionnement ?

En 1982, la peine de mort est abolie. Le16 octobre 1984, le petit Grégory, est retrouvé mort près de de son domicile. Quand les journalistes découvrent le village des Vosges où le meurtre sordide a été commis, les dimensions politiques, sociales et humaines ont-elles été prises en compte ? La remarque du sociologue Pierre Bourdieu qui avait estimé dans son livre « Sur la télévision » que « les faits divers, ce sont aussi des faits qui font diversion » s’applique-t-elle dans ce cas précis ?

Interrogée par Isabelle Bordes, journaliste pigiste, chroniqueuse pour Arrêt sur images, Marie Zafimehy, journaliste chez RTL, coordinatrice du podcast « Les Voix du crime », Marika Mathieu, journaliste et réalisatrice, auteure de « L’Impuni, histoire d’un déni collectif », Pat Perna, auteur et scénariste de BD dont « Grégory », et Claire Roffio, chercheuse au département Sciences Po de l’université Paris-Sorbonne, ont décortiqué le commentaire de Pierre Bourdieu à la lumière de faits divers qui ont marqué la société, jusqu’aux plus récents.

Construire des feuilletons

« Sublime, forcément sublime Christine V. » décrète dans une tribune de Marguerite Duras publiée dans Libération. Mère infanticide aux circonstances atténuantes pour l’écrivaine, Christine Villemin sert d’ ingrédient à une histoire construite de toutes pièces. A l’occasion des 40 ans de la mort du petit Gréogory et à la demande des Villemin, Pat Perna publie « Grégory ». Quelle est la valeur ajoutée de la bande dessinée ? : « elle apporte à la fois de la distance et une dose d’empathie dont l’affaire Grégory a manqué. » Raconter une bonne histoire au détriment des aspects sociaux, politiques, humains quitte à la construire de toutes pièces pour faire diversion, voilà ce qui a primé.

Dans l’affaire Outreau, le premier procès pédocriminel, la lecture du dossier judiciaire est édifiant. Enquête, premières auditions : bâclées ; l’affaire devient un feuilleton à forte valeur ajoutée. La couverture en dit long sur la façon dont les affaires sortent. « On est passé à côté. » Avec Outreau, ce qui apparaît comme des anomalies aujourd’hui ne l’était pas car « elles correspondent à notre système. » Aussi, convient-il « d’interroger ces faits dans nos comportements », en gardant l’esprit critique.


Pédocriminalité : « pourquoi on ne fait rien ? »

Au terme d’un patient travail sur 40 ans de une de journaux sur la médiatisation du viol, Claire Ruffio, décrypte les évolutions dans le temps. «Au fil des affaires, les média ont interrogé les causes communautaires, le sexisme, le pouvoir de domination hommes-femmes et entre adultes et enfants. » Un éclairage précieux, documenté, avant que de la tribune émerge ce constat : la pédocriminalité est une réalité déniée quand 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Mais pourquoi face à ces agressions dévastatrices ne fait-on pas société, « pourquoi on ne fait rien ? » interroge Marika Matthieu. D’où ce non-dit, ce silence puise-t-il sa source ? se demande-t-elle à propos de Joël Le Scouarnec et de ses victimes.
Si « l’on ne peut pas tout attendre de la justice », il est temps de s’interroger sur le traitement des faits divers, de la manière de mettre en avant des suspects en jouant sur la consonance des prénoms, la race par exemple, en occultant les réalités sociales ou encore se questionnant sur la manière de « divertir les enjeux » au détriment des enjeux sociétaux face aux violences sexistes et sexuelles, face à la pédocriminalité.

Texte et photo : Richard Hecht

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