Ce jeudi 16 mars 2023 marquait l’inauguration de l’exposition “Ukraine : une vie sur le fil”, dans les locaux du Club de la presse. Pour l’occasion, le photographe et réalisateur Alexis Lopez, auteur des clichés, livre son regard sur le conflit et sa perception du photojournalisme en zone de guerre.
La notion de vie sur le fil, thème de notre exposition, est omniprésente dans vos photographies de la guerre en Ukraine. Est-ce quelque chose que vous avez ressenti sur le terrain également ?
Oui clairement. Lors de mon second départ, une fois la guerre déclenchée, les gens étaient tétanisés. Les trains étaient bondés d’Ukrainiens qui fuyaient le pays, et les journalistes étaient parmi les seuls à se diriger dans le sens inverse. Cette idée de vie sur le fil me touche parce qu’on peut être confronté à la guerre à tout moment dans notre vie. Je voulais raconter le quotidien de ces civils complètement démunis, pris en étau par la guerre. Dans les villes attaquées, certaines familles n’avaient plus accès à l’eau, ni à l’électricité, d’autres n’avaient plus de toit, leur vie tenait réellement sur un fil.
Comment raconte-t-on les atrocités de la guerre en étant juste, mais sans choquer ?
J’ai couvert cette guerre parce que je sentais que quelque chose se jouait pour l’histoire. Mon objectif premier, lors du second voyage en particulier, était de documenter le quotidien des civils au moment de l’invasion russe. Pour cela, j’ai essayé de suggérer le plus possible, d’apporter un point de vue singulier. Il est très difficile d’être juste dans cette situation parce qu’en photojournalisme, on a un peu le cul entre deux chaises. Nous devons montrer les atrocités de la guerre tout en évitant d’être dans le trash. Je me demande si le fait de montrer des scènes d’horreur en photo ne pousse pas à une forme de haine. On voit d’ailleurs que certaines images peuvent être réutilisées à des fins de propagande, c’est un risque.
Quel a été votre souvenir le plus marquant ?
C’est une histoire qui était trop dure pour apparaître dans l’exposition. Je suis tombé sur le corps sans vie d’un soldat russe de 19 ou 20 ans, qui venait d’être attaqué par une frappe. Il avait la tête dans son bras, tout le bas du corps brûlé, et un groupe de militaires ukrainiens est arrivé. L’un d’entre eux a sorti un tissu blanc de sa poche, a attrapé la tête du cadavre, puis l’a mise en arrière pour que le groupe puisse prendre des photos avec lui en souriant. À ce moment-là, je me suis rendu compte de la souffrance psychologique extrême que les soldats vivent. Il faut vraiment avoir vécu des scènes d’horreur pour en arriver à un tel geste.
Luigy Lacides