Un peu plus d’un an après le lancement de la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, les journalistes à l’origine de cette charte organisaient le 10 janvier dernier une journée de rencontre entre journalistes signataires à la Gaité Lyrique de Paris. L’occasion pour la centaine de journalistes présents de faire un premier retour sur la mise en place de cette charte dans leurs rédactions respectives.
La Charte pour un journalisme à hauteur de l’urgence écologique a été lancée le 14 septembre 2022, et un peu plus d’un an plus tard, « nous sommes déjà 1949 signataires », se réjouit Anne-Sophie Novel, l’une des journalistes à l’origine de la création de cette Charte. Mieux encore, les premiers retours d’expérience montrent que 28 % des journalistes signataires jugent que la Charte a été à l’origine de changements réels dans leur rédaction. Et elle a aussi permis la mise en place de formations spécifiques destinées aux journalistes, comme les Fresques du climat, et le regroupement de journalistes concernés par ces questions écologiques au sein de collectifs. Surtout, cela a entrainé un changement dans le traitement des sujets, observent les signataires de la Charte : il y a désormais davantage de transversalité, et le traitement des questions écologiques ne reste plus uniquement cantonné à la rubrique « écologie » des médias. Et si tous les médias ne sont pas signataires de la Charte, certains comme Ouest France s’en sont aussi inspirés pour créer leur propre Charte.
Points de blocage
Mais si la mise en place de la Charte pour un journalisme à hauteur de l’urgence écologique a fait bouger quelques lignes, il reste néanmoins de nombreux points de blocages, soulignent les signataires. Près de la moitié d’entre eux déplore le fait que la signature de la Charte n’ait pas encore donné lieu à des changements significatifs au sein de rédactions. Car les freins sont nombreux. Ceux qui reviennent les plus souvent sont : manque de lucidité sur les enjeux réels au sein des rédactions, la peur de heurter le lectorat ou les annonceurs, ou encore le manque d’effectifs pour traiter ces questions. « La Charte est aussi jugée trop contraignante au sein des rédactions, et plusieurs rédacteurs en chef ont préféré élaborer une Charte sur mesure pour leur média », soulignent des journalistes présents sur place.
Parmi les points de la Charte jugés comme étant les plus difficiles à appliquer par les journalistes, on retrouve le fait de s’opposer aux financements (publicités, partenariats) issus des activités les plus polluantes, ou encore le fait d’assurer l’autonomie des rédactions et leur indépendance éditoriale vis-à-vis des propriétaires de ces médias.
Un journalisme « bas carbone »
La pratique d’un journalisme bas-carbone, mise en avant par la Charte, a aussi été questionnée par plusieurs journalistes présents dans le public ce jour-là. « Le fait de se déplacer sur le terrain pour faire des reportages reste quand même l’essence même de notre métier », interpelle une journaliste. « Il n’est pas question de mettre fin aux reportages, mais de les organiser différemment, en favorisant par exemple les interactions et les échanges avec les journalistes locaux, qui sont d’ailleurs bien mieux au courant de ce qu’il se passe sur les territoires dans lesquels ils vivent. L’idée est de ne plus décider de prendre l’avion en un claquement de doigt », souligne Sophie Roland, l’une des journaliste membre du collectif de la Charte.
Quel avenir pour la charte ?
La suite de ce moment d’échanges était consacrée à l’avenir de cette Charte. Elle pourrait prochainement être accompagnée d’un guide pratique pour faciliter sa mise en place dans les rédactions, et cette Charte pourrait aussi être déclinée en bande-dessinée ou en images pour une diffusion sur les réseaux sociaux.
Enfin, plusieurs signataires ont exprimé leur volonté de recevoir des sélections d’informations, sous la forme de newsletter, pour avoir accès à des exemples – et des contres exemples – d’articles et de sujets qui respectent la Charte, ou pour mieux connaitre les initiatives prises par les médias en lien avec la Charte et pouvoir éventuellement s’en inspirer. Le fait de disposer de davantage d’informations sur les accès aux formations existantes sur le journalisme et l’écologie est aussi une demande récurrente de la part des journalistes.
Débusquer le greenwashing
La journée s’est poursuivie avec l’organisation d’ateliers thématiques en petits groupe. Un atelier « comment débusquer le greenwashing ? » était notamment proposé par Loup Espargilière, rédacteur en chef du média Vert, et par Paloma Moritz, journaliste spécialisée dans les questions environnementales au sein du média Blast.
« Le greenwashing, c’est notamment le fait de mettre la lumière sur quelque chose d’anecdotique, en occultant le principal », souligne Paloma Moritz, en montrant une affiche publicitaire réalisée par la multinationale Amazon sur laquelle on voit une chèvre qui fait de « l’éco-pâturage » juste à côté de l’un des immenses entrepôts du géant américain du e-commerce.
Il faut dire que les possibilités de faire du greenwashing sont nombreuses : on peut mettre en avant des technologies ou des prototypes pas encore matures, promettre la neutralité carbone dans un futur lointain, ou encore parler de « compensation carbone ». Dans ce dernier cas, « les ordres de grandeur avancés sont bien souvent faux, déplore Paloma Moritz. Et il est bien trop réducteur de ne parler que des émissions de CO2, il faut aussi regarder les autres impacts, sur la biodiversité par exemple ». « Certaines entreprises choisissent aussi de centrer leur communication sur une toute petite partie de leur activité, souligne Loup Espargilière. Total communique par exemple beaucoup sur ses activités en lien avec les énergies renouvelables, mais cela représente en réalité moins de 1 % de la production de cette compagnie ».
Le rédacteur en chef du média Vert met aussi en garde dans le cas de la pratique du journalisme de solution qui peut amener certains journalistes à faire du greenwashing sans le vouloir : « il faut être honnête vis-à-vis des lecteurs : la solution présentée peut-elle être vraiment déployée à grande échelle ? Et si on parle d’une technologie, il faut bien préciser son niveau de maturité, et signaler s’il s’agit seulement d’un prototype par exemple ».
Car au-delà du fait de produire de la désinformation, le greenwashing représente un réel danger dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, rappelle Loup Espargilière : « le greenwashing est un récit qui fait que les citoyens restent assis au lieu de se bouger ! ».
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Lien utiles :
Pour consulter la Charte ou la signer, c’est par ici : https://chartejournalismeecologie.fr/
Le site de la Fresque du climat, c’est par là : https://fresqueduclimat.org/
Un cas de greenwashing dans les grands médias : l’avion écolo, par France Tv Slash :
https://www.instagram.com/francetvslash/p/C13zzzRMAxm/?img_index=7
Un article du média Vert sur le Greenwashing :
Article du média Vert sur le résumé de cette journée de rencontres :
https://vert.eco/articles/lecologie-a-t-elle-trouve-sa-place-dans-les-medias-un-an-apres-son-lancement-la-charte-pour-un-journalisme-a-la-hauteur-de-lurgence-ecologique-fait-le-bilan