Les journalistes, Stéphanie Estournet et Anaïs Carayon, se sont penchées sur la représentation de la sexualité dans nos médias. Entre absence, manque de sérieux et censure, elles font le constat d’un sujet qui a encore du mal à s’imposer dans les rédactions.
« Chaque année, le sexe n’est un sujet qu’à l’été, pile pour numéro spécial des Inrock. Il reste un sujet léger, de divertissement. D’ailleurs, aucun des grands titres de presse n’a de rubrique “Sexo” » constate Stéphanie Estournet, journaliste et autrice de Sex Talk, un livre, co-écrit avec Olympe de Gé, qui interroge les désirs et la sexualité au travers d’une vision féministe.
« Ou les traditionnels quiz “Quelles positions pour satisfaire son jules” », ironise Anaïs Carayon, journaliste et directrice de la rédaction d’Urbania, rappelant en plus de la légèreté, le traitement hétérocentré de la sexualité.
Les deux autrices en font le triste constat : le sexe n’est (presque) pas un sujet pour les médias. Et lorsqu’il est traité, c’est toujours via un angle léger, sous forme de quiz ou de top.
Or, nos deux journalistes l’affirment « depuis MeToo, nous sommes nombreuses et nombreux à avoir compris que beaucoup de ce qui se passe dans nos chambres n’est pas normal .»
Si depuis, quelques figures ont émergé pour aborder de manière sérieuse les sujets liés à la sexualité, comme Maïa Mazaurette, ces sujets restent difficiles à aborder et les journalistes « s’autocensurent beaucoup ». Une situation qui n’est pas aidée par la modération sur les réseaux sociaux : « Les mots comme sexe ou porno sont censurés sur TikTok ou Instagram, explique Anaïs Carayon, on doit utiliser des stratagèmes pour contourner la modération, en écrivant les mots avec des astérisques par exemple (s*xe, pr0n). »
Face à cette absence de contenus journalistiques, des comptes comme jouissance.club, jemenbatsleclito ou le controversé compte de Dora Moutot tasjoui ont vu le jour pour traiter cet « angle mort médiatique ». Si certains « mènent un travail de recherche », d’autres sont plus problématiques : « Le problème qui peut se poser avec ces comptes-là, c’est qu’on ne sait pas qui parle et d’où il parle, ce qui peut amener à des dérives, comme les contenus transphobes de Dora Moutot », alerte Stéphanie Estournet qui fait la comparaison avec un travail journalistique. « De mon côté, je peux travailler jusqu’à plusieurs semaines sur un seul sujet. »
Une éducation nécessaire
« Le rapport moyen pour les couples hétéros est de 5 min 40 s », « seuls 15 % des parents parlent de sexualité avec leurs enfants », « la syphilis a augmenté de 34 % chez les plus jeunes », les journalistes énumèrent des chiffres qui viennent illustrer le manque d’informations sur la sexualité, particulièrement chez les plus jeunes. C’est pour cela que les deux intervenantes défendent un véritable traitement des sujets sexo dans les médias, ainsi que de « véritables cours d’éducation sexuelle dès le collège ».
Pour elles, ce tabou autour de la sexualité est l’une des raisons pour laquelle « l’âge moyen du premier porno est de 9 ans ». Si les deux journalistes évitent l’écueil de la diabolisation du porno : « ça peut être un outil de découverte, notamment pour les personnes LGBTQIA+ qui ne peuvent parler de ces sujets-là à leur entourage », il ne faut pas oublier que la pornographie transmet une vision biaisée de la sexualité.
Conclusion de cet échange, force est de constater que les choses bougent, mais qu’il y a encore beaucoup à faire, car « être heureux dans sa sexualité, ça peut nous permettre d’être heureux tout court » conclut Anaïs Carayon.
Texte : Zoé Keunebroek, journaliste et membre active du Club
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