Pour la journée mondiale du 3 mai, une table-ronde a été organisée rue des Capérans sur la sécurité des journalistes et la liberté d'informer. Les témoignages ont montré que Bordeaux n'échappe pas aux problèmes nationaux (violences, atteintes au droit) dans les manifestations
« Le Club de la presse a été sollicité par plusieurs journalistes sur la meilleure façon de couvrir une manifestation, notamment après le 49-3, sur la montée des violences et de leur répression. » Simon Barthélémy, vice-président du Club et rédacteur en chef de Rue 89 Bordeaux, a animé une rencontre qui voulait répondre à des questions d’actualité. Entre autres, « comment être identifié comme journaliste dans une manifestation, comment être protégé, que pouvons-nous faire ou ne pas faire, cela étant inclus dans le schéma du maintien de l’ordre. » Le débat a commencé sur le rôle de la carte de presse et du brassard, les jeunes journalistes envoyés sur les manifs ne les ayant pas forcément. « Le Conseil d’Etat a cassé plusieurs procédures, indique l’animateur, mais il a été obtenu que les jeunes et les étudiants stagiaires n’aient pas forcément la carte. »
Les grenades d’encerclement
Richard Hecht, journaliste honoraire et vice-président du Club rappelle sur ce point que « depuis le 1er janvier 2022, ceux qui n’ont pas la carte peuvent obtenir une « attestation normalisée d’identification« , qui est également utile pour les techniciens de l’audio-visuel« . Et Ugo Amez, photoreporter, fait la liste d’une série de violences dont il a été victime. « J’ai pris un tir de flashball au premier tour de l’élection présidentielle, il n’y avait pas encore les gilets jaunes, mais j’ai eu des coups de bouclier, de matraque. Je dirais que depuis, à Bordeaux pour travailler, ça va. Mais j’ai eu un confrère qui a pris un tir de LBD dans les fesses. » Il observe des changements de comportement quand il y a un journaliste présent. « Vu qu’ils savent qu’ils sont un peu borderline, quand ils interpellent quelqu’un et qu’un collègue leur signale « photographe« , là ils le relâchent. » Comme Simon Barthélémy lui demande s’il a changé quelque chose dans son équipement de protection, quand il va à la manif, il répond qu' »au début j’allais en manif comme à une conférence de presse, mais maintenant je porte des chaussures qui montent, pour protéger des grenades, et là, je suis allé acheter un masque à gaz et un casque de vélo. Puis j’ai choisi un casque de ski, pour les grenades. En même temps il faut pouvoir bouger... »
Sur les signes distinctifs attestant de sa qualité de journaliste, et le fait d’être visé comme tel, il note qu’au début, les manifestants lui demandaient « s’il était de BFM ? Puis au fil des actes c’étaient les forces de l’ordre qui devenaient hostiles. J’avais un badge Presse pour ces cas-là, puis j’ai mis un brassard de presse. Il est assez discret, mais on ne pourra pas me reprocher de n’avoir rien porté. » Ugo Amez a également couvert les manifestations de Sainte-Soline. « J’ai fait les deux, celle de novembre et les plus récentes. A chaque fois c’étaient des effectifs très mobiles de gendarmes. La première fois les cortèges ont marché 7 km sans voir personne, la seconde la stratégie était de ne plus arrêter dès que les cortèges étaient arrivés. Je pense que c’était une violence terrible, mais ce n’était pas la guerre. Le plus dangereux, c’était les grenades d’encerclement, qui balancent des petits morceaux de plastique dur, qui s’ajoutent aux cailloux. »
Agathe Hernier, journaliste à Podcastine, témoigne de ce que d’autres observateurs suivent les événements: notamment les militants de la Ligue des Droits de l’Homme, « qui appelle à relever le matricule à sept chiffres de la police ou des gendarmes. Mais il n’y en avait pas beaucoup qui portaient leur numéro. » Eloïse Nguyen Van Bajour, journaliste santé pour Le Média TV, signale « qu’on a formé un collectif car il y avait des confiscations de matériel, des menaces verbales avec la BAC, bien qu’avec la possession de la carte de presse ou la carte d’agence, ou pour moi reconnue d’une école de journalisme. Et le matériel confisqué part dans les poubelles des commissariats. » Elle a été arrêtée trois fois, « il y a des dispositifs plus hybrides qui cherchent à faire monter la pression. » Il y a aussi des formules associées, comme le décrit Ugo Amez : « Si on demande à accompagner une unité de CRS, OK, mais ce n’est pas notre job !« . Sur les formules permettant des solutions, Richard Hecht se souvient « qu’en 1968, il y avait des comités presse-justice-police, il faudrait peut-être reprendre cela ? » Il rappelle que la 11ème Conférence des Métiers du Journalisme, en 2021, a traité des « Nouveaux risques du métier« (voir références sur le site). Il souligne également les atteintes à la sécurité des femmes journalistes.
Journalistes en colère
Un autre aspect à ne pas négliger est le fait que les journalistes subissent aussi des situations de stress, s’il y a des blessés, des cas graves et que l’on soit dans une situation de stress post-traumatique. « Nous y sommes particulièrement exposés sur le terrain, ainsi qu’aux risques psycho-sociaux. Il y a les cauchemars, les problèmes de sommeil… Au point que la médecine du travail de l’AFP a travaillé sur cela. » Et Eloïse Nguyen Van Bajour insiste « sur la nécessité de s’auto-former sur les techniques de maintien de l’ordre, les armes, les forces en présence… Pendant les Gilets Jaunes, on avait créé un groupe « Journalistes en colère » et on s’appelait tous les soirs pour vérifier que tous étaient bien rentrés. Savoir comment se positionner, se préparer, résister aux insultes et aux menaces, connaître les risques psychosociaux, le burn -out, etc… Il faut pouvoir détecter les situations de stress aigu, ne pas nier ses émotions, les verbaliser, se reposer, ne pas changer ses habitudes, avoir un rythme de vie à reprendre. Le marqueur, c’est l’irritabilité, si c’est au-delà de 6 à 8 semaines, il faut consulter. »
Quelles solutions, quels conseils peuvent être apportés aux journalistes en première ligne ? Hugo Amez révèle que BFM a mis en place des vigiles pour protéger ses journalistes. D’autres médias vont-ils en faire autant ? Richard Hecht met en avant le fait de « connaître ses droits, être syndiqué et bénéficier des services d’un avocat, demander la carte européenne des journalistes » entre autres solutions. Il ajoute que la question de la sécurité va continuer d’être traitée au Club de la Presse de Bordeaux, avec le « Club junior » et par des sessions de formation. Deux étudiantes mènent des actions en ce sens dont Emma Guillaume. Cette dernière est membre du CA du Club et elle prévoit de travailler avec l’IJBA sur ce dossier.
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Peu avant la fin de la table ronde, Mansoor Koskow, un journaliste Afghan en exil est venu plaider la cause de confrères, menacés dans leur pays.