Chaines internationales Russie

24 Février 2022. La date restera comme le premier jour du reste de notre vie de journaliste. La guerre donc, déclarée par la Russie à l’Ukraine. En tant que citoyens, bien sûr, il y a l’émotion, la compassion, la solidarité pour le peuple jaune et bleu, et l’admiration pour son courage. La consternation et l’impuissance, aussi.

Photo : Paul Einerhand / Unsplash

Alertées par le comité Denis Diderot, les fédérations internationale et européenne des journalistes (FIJ et FEJ) se mobilisent pour que  Eutelsat S.A puisse se dégager de sa position de neutralité et que les chaînes internationales d’information puissent reprendre leur retransmission à destination du public russe.

Alertées par le comité Denis Diderot, les fédérations internationale et européenne des journalistes (FIJ et FEJ) se mobilisent pour que  Eutelsat S.A puisse se dégager de sa position de neutralité et que les chaînes internationales d’information puissent reprendre leur retransmission à destination du public russe.

La FEJ et l’IFJ viennent de publier sur la Plateforme de sauvegarde des journalistes du Conseil de l’Europe une alerte, « Eutelsat supprime la diffusion de chaînes de télévision occidentales dans la Fédération de Russie ».

Cette alerte fait suite au dossier et à la pétition publiés par le Comité Denis Diderot qui s’est constitué pour demander le rétablissement de la libre circulation de l’information (sans propagande de guerre) entre l’Europe et la Russie.

Le Comité propose à l’Union européenne de prendre des sanctions contre les deux plates-formes russes NTV+ et Trikolor qui sont les principaux fournisseurs de chaînes adressées au public russe. Depuis le début du mois de mars, ces plates-formes ont interrompu la retransmission de 8 chaînes internationales d’information (BBC World, CNN International, DW, Euronews, France 24, NHK World, RAINews 24, TV5 Mondes) privant ainsi le public russe d’images, d’informations et d’analyse sur la guerre en Ukraine. 

A cette situation, Eutelsat S.A., société française, répond que, tenue par une obligation de neutralité, elle ne peut rien faire tant que des décisions ne sont pas prises par les pouvoirs publics en charge de la réglementation. (Voir les déclarations dans Le JDD, ce dimanche 17 avril). Il nous paraît important de demander à l’Union européenne et à l’organisation intergouvernementale INTELSAT IGO de  faire respecter le pluralisme de l’information, l’universalité et la non-discrimination des services sur des satellites propriétés d’une société française.

La pétition du Comité Diderot a été signée par des enseignants, chercheurs et juristes spécialisés dans le domaine des médias, des journalistes, des professionnels de l’audiovisuel en Europe et au Canada, ainsi que par tous les membres du Conseil national de la Radio et de la Télévision, l’instance régulatrice en Ukraine.

Le Comité Denis Diderot a alerté les différentes instances de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe, le Secrétaire exécutif d’EUTELSAT IGO ainsi que toutes les instances nationales de régulation membres de l’ERGA.

Nous pensons que si des sanctions sont prises, des capacités seront libérées sur les satellites Eutelsat 36 E qui permettront de fournir à nouveau au public russe, en accès libre, les chaînes internationales d’information, des chaînes russophones existant déjà en Estonie, en République tchèque et en Ukraine, ainsi que d’éventuelles chaînes indépendantes russes qui se créeraient. 

Malheureusement, notre alerte n’a pas encore trouvé beaucoup d’échos dans la presse. Nous vous serions reconnaissants d’en alerter vos membres, de leur demander de signaler l’alerte de la FEJ/IFJ et la pétition du Comité Denis Diderot qui peut être signée en ligne ici.


L’Association des Journalistes de Toulouse (AJT) organisait cette semaine une soirée-débat sur le thème de l’information en temps de guerre à laquelle était associé de Club de la Presse de Bordeaux. Occasion de faire le point sur les conditions de travail des journalistes en zone de conflit. Infos pratiques sur les déplacements, le logement, les conditions de sécurité. Précisions sur les relations avec la population, les autorités locales, l’armée, les ONG, mais aussi réflexion sur la liberté d’expression, le contrôle des activités des journalistes et l’éventuelle censure que d’aucuns se sentiraient -ou non- obligés d’exercer sur l’information qu’ils diffusent.

Les échanges ont été facilités grâce à la participation Kseniia Fédorenko, responsable des relations presse d’Ukraine-Libre Toulouse créée le 6 mars 2022 qui a servi d’interprète dans le cadre du dialogue avec le journaliste ukrainien Oleg Paniota, 30 ans de métier, qui a résumé la position de la presse télévisuelle ukrainienne.

Contrairement à leurs confrères étrangers, les journalistes ukrainiens sont partie prenante du conflit. Certains se sont engagés au sein de l’armée et les autres, même s’ils ne portent pas les armes considèrent que leur objectif premier est de gagner la guerre. Les 5 chaines de TV ukrainiennes ont mis de côté leurs rivalités passées pour ne faire qu’une, couvrant 90% de l’information télévisuelle 24H/24, chacune assurant 5h de direct et mettant leurs moyens techniques en commun.

Oleg Paniota souligne la difficulté de travailler à la fois en raison des problèmes d’accès aux locaux mais aussi de la nécessaire auto censure que s’imposent les journalistes pour éviter que l’attaquant russe ne cible plus facilement les zones où ils travaillent. Décision a donc été prise de ne plus diffuser en temps réel. Pas facile de faire son travail de journaliste sans aider l’artillerie russe, conclut-il. 

Pas de collaboration non plus avec les journalistes des télévisions étrangères comme Boris Kharlamoff, et ses collègues de BMF TV qui ont choisi de « tout montrer » malgré les pressions du renseignement ukrainien considérant, dit-il, que leur priorité est leur boulot de journalistes. « On est là pour documenter des crimes de guerre » raconte un d’entre eux tourmenté par le souvenir apocalyptique des villages « libérés », des corps enterrés dans des trous d’obus en raison du gel et ses cadavres en grand nombre d’enfants dénudés. Témoignage fort d’Andriy Dubchak correspondant de Radio Free Europe, et fondateur de @donbas.frontliner de retour d’Iprin et de Boutcha qui travaille pour les médias occidentaux anglophones et qui se sent lui aussi partie prenante du conflit. Il assure que l’armée russe a une mission d’extermination, c’est pourquoi il exhorte les Européens à stopper l’envahisseur russe « maintenant ».

Sur le même bateau mais pas à la même enseigne

Il est apparu évident qu’une hiérarchie s’est établie entre les journalistes envoyés par de gros groupes de presse qui pratiquent un certain entre-soi et les autres : fixeurs mis à disposition, hébergements pré-réservés dans des hôtels restés ouverts pour la presse internationale. Moins bien lotis, les indépendants, souvent contraints d’avoir recours à la population locale pour leurs déplacements, leur ravitaillement, leurs infos, voire leur logement. Il est absolument indispensable pour eux d’avoir bien préparé leur voyage- voiture et équipement-aucune aide officielle n’étant prévue sur place.

Chacun relate des relations plutôt bonnes avec la population, quelques difficultés avec la police ou les militaires plus méfiants vis-à-vis d’éventuels espions infiltrés ou fait part de conseils pratiques liés à des situations particulières. Viennent ensuite ceux qui ont rencontré des conditions restrictives d’exercice comme notre confrère bordelais Jefferson Desport empêché de rentrer sur le territoire ukrainien faute d’équipement de protection. Il témoigne de la coordination des forces de l’OTAN, de la présence française à la frontière avec la Roumanie, des manœuvres dans les pays baltes, des forces aériennes stationnées en Pologne, Croatie et Roumanie alors que l’offensive sur Odessa a déjà commencé..

Au-delà des témoignages de chacun sur ses conditions de travail ou les récits souvent bouleversants recueillis auprès des civils, c’est la volonté inébranlable portée par la voix d’Oleg Paniota qui s’est fait entendre. Les Ukrainiens se battront jusqu’à la victoire. Ils pourront alors recommencer à travailler sur tous les sujets, y compris les plus sensibles, ceux de la corruption par exemple. Pour le moment, aucune critique sur les décisions du gouvernement de Volodymyr Zelenski. Les journalistes ukrainiens se définissent d’abord comme des combattants.

Claude Ader-Martin


Un fixeur de Radio France torturé

Reporters Sans Frontières livre le témoignage d’un collaborateur de Radio France enlevé et passé à tabac durant plusieurs jours au centre de l’Ukraine.Un crime de guerre qui s’inscrit dans le combat mené contre les journalistes en Ukraine comme en Russie.

Après des vérifications opérées depuis son Centre pour la liberté de la presse ouvert à Lviv par Reporters Sans Frontières, l’organisation humanitaire internationale livre un éclairage supplémentaire sur la répression et les atteintes à la liberté d’informer dont sont victimes les journalistes et leurs collaborateurs en Ukraine.
Alertée par la direction de Radio France de la disparition d’un fixeur travaillant pour une équipe d’envoyés spéciaux dans le centre de l’Ukraine, RSF livre le récit d’un crime de guerre parmi d’autres commis par l’armée russe en Ukraine.


Depuis la fusillade du véhicule qu’il pilotait et durant neuf jours, le fixeur a subi des séances de torture au couteau et à l’électricité, un simulacre d’exécution et a reçu des coups de crosse de fusils mitrailleurs sur le visage et sur le corps. Reporters Sans frontières a décidé d informer le procureur de la Cour Pénale Internationale sur ce crime de guerre.

Les journalistes menant leur travail d’enquête et d’information sont confrontés à de très grandes difficultés sur le terrain en Ukraine, avec le décès de plusieurs d’entre eux, mais aussi en Russie où les atteintes physiques, les pressions économiques, l’accès restreint aux médias indépendants dont Meduza, Radio Svoboda, entravent l’exercice du métier de journaliste et le droit à une information alternative.

https://mailchi.mp/rsf.org/fixeurradiofrancetortur?e=026446d5ba


Ukraine : Les enfants de la guerre

Marina Dyndo dont nous vous avons fait le portrait précédemment a rencontré en fin de semaine dernière à Kiev, Daria Garasimchuk, Ombudsman des droits de l’enfant. Elle fait le bilan de deux semaines de guerre pour les enfants ukrainiens.

En date du 10 mars son organisation a recensé la mort de 71 enfants et comptabilisé une centaine d’enfants blessés depuis l’invasion de l’Ukraine. Ce chiffre, en évolution chaque jour ne peut être considéré comme définitif en raison de l’impossibilité d’accéder à certaines zones où se déroulent les combats.

Selon le ministère ukrainien de l’éducation et des sciences 211 écoles ont été endommagées ou détruites, 61 établissements de soins de santé ont été endommagés durant les deux premières semaines : bâtiments détruits, réseaux coupés, manque d’eau et d’électricité.

Des centaines d’infrastructures destinées aux enfants ont été détruites : jardins d’enfants, centre de réhabilitation, écoles professionnelles, universités, y compris les orphelinats.

Création d’un Bot télégraphique avec aide de l’UNICEF

Dès les prémices de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, Daria Gerasimchuk en accord le gouvernement ukrainien, avec les services sociaux et les ONG concernées ont créée et organisé un groupe de travail de coordination pour aborder les questions de protection des droits de l’enfant sous statut d’orphelins dans les régions de Luhansk et Donetsk sans savoir que leur travail allait devoir s’étendre à tous les enfants ukrainiens quelques jours plus tard.

L’augmentation du nombre de victimes civiles adultes a mis des centaines d’enfants en situation extrêmement précaire et difficile : enfants confrontés brutalement à la perte de leurs parents, enfants perdus pendant l’exode. L’UNICEF s’est donc portée au secours de l’Ukraine en créant avec le Ministère ukrainien de la politique sociale un Bot télégraphique pour aider les mineurs dans les situations de guerre. Conseils sur les étapes pratiques à suivre dans les cas de disparition de mineur, d’enfant en errance, de proposition d’hébergement de mineur etc…

Selon Madame Gerasimchuk , rien qu’au cours des 24 premières heures de sa mise en service, le Bot a reçu plus de 1700 demandes de placements temporaires d’enfants en Ukraine et une vingtaine de demandes d’hébergement temporaire collectif émanant d’organisations internationales.

Appel à la « fermeture du ciel »

Outre les bombardements qui ciblent les populations civiles, les obligeant à vivre dans des caves, des sous-sols et des stations de métro où des centaines d’enfants sont nés depuis le début du conflit, l’Ombudsman des droits de l’enfant dénonce les privations de soins auxquels ils sont soumis : «  Les personnes qui dépendent d’un traitement ou de soins constants dont beaucoup d’enfants ne peuvent les obtenir de manière qualitative, sans parler des milliers de jeunes patients souffrant de cancers qui n’ont plus accès à la chimiothérapie , la radiothérapie ou la chirurgie ». Et Daria Gerasimchuk qui travaille également sur la question de l’ouverture de couloirs humanitaires de conclure par un vibrant appel à l’OTAN de fermer le ciel au-dessus de l’Ukraine, dans son intérêt et celle de l’Europe. « La guerre en Ukraine n’est pas une guerre extérieure à l’Europe. Fermez le ciel et nous nous débrouillerons nous-mêmes sur le terrain » !

Claude Ader-Martin


Journalisme en zone de guerre, « l’enfer et la galère »

Partir faire du journalisme en Ukraine, cela ne s’improvise pas. La preuve.

Autoportrait d’Hédi

Impossible de partir travailler en Ukraine sans accréditation. L’obtention de celle ci passe par le ministère ukrainien de La Défense. Condition sine qua non : disposer du matériel de protection balistique classe 4, c’est à dire le plus lourd.

C’est un sésame indispensable pour se déplacer dans un pays sous loi martiale et émaillé de nombreux checkpoints (points de contrôle).

Sinon, l’entrée en Ukraine est assez simple, mais la sortie est, elle, beaucoup plus hasardeuse avec les millions de réfugiés sur les routes. Les Ukrainiens ne donnent pas de passe-droit. C’est un pays qui est vaste et sans voiture, il est très compliqué de se déplacer. 

Plus le conflit va se poursuivre et plus il va se durcir. Il sera possible de travailler mais il faudra essayer de bénéficier de la logistique de grosses structures. Pour les pigistes, cela va vite devenir un terrain compliqué à couvrir sur la durée vues le nombre de conditions essentielles  à réunir avant même de partir. Par exemple, il faut avoir une trousse de premiers soins et une assurance pour terrain de guerre.

Avant de prendre la route, il faut bien s’interroger sur le but du voyage et si les risques à prendre valent le déplacement. La pratique de la langue russe et ukrainienne sont un plus appréciable même si beaucoup d’Ukrainiens parlent anglais.

Pour finir, je citerai un de mes bons camarades qui travaille pour une grande chaîne internationale. Il dit : « Aller à la guerre sans une structure, c’est la galère et l’enfer ».

Hédi Aouidj pour le Club de la Presse 

Hedi Aouidj

Hédi Aouidj est un journaliste indépendant bordelais spécialiste du Moyen-Orient. Il collabore à différents supports de presse, notamment Sud Ouest pour lequel il a assuré la correspondance depuis l’Ukraine. Il a aussi signé des documentaires pour Canal+, France 24, la revue XXI, VSD, l’AFP et a été envoyé spécial pour France 2. A son retour d’Ukraine, il a accepté de nous livrer son témoignage, notamment sur les conditions dans lesquelles il a travaillé en Ukraine.

Hédi Aouidj nous fait vivre la réalité ukrainienne avec ce reportage dans le Monastère des caves de Liadova :


Avec l’Ukraine

En tant que journalistes, pour notre génération, c’est une première, en tout cas à nos portes. D’autant que cette guerre, comme toutes les autres, est une guerre déclarée contre la liberté d’informer. Alors, tout de suite au Club de la presse, une question a surgi dans nos rangs : comment être utile ? Que faire ?
Les initiatives ont émergé. Parfois vouées à l’échec vues les difficultés à entrer en contact avec nos confrères . Et cela est symptomatique de ce conflit qui ne dit pas son nom de l’autre côté des frontières.
Très vite, nous avons conclu que notre rôle, c’était justement de raconter cela. Les journalistes empêchés, les bouches cousues, la difficulté à exercer ce métier, qui devient une arme quand les temps sont troubles. Nous avons voulu tendre le micro à ceux qui osent parler, comme Marina, du haut de ses 20 ans, restée à Kiev pour témoigner et dire comment son pays est éventré par les bombes. Pas journaliste, citoyenne ukrainienne en résistance, animée par une puissante volonté de témoigner ce que vit la population sous les bombardements, elle livre un authentique journal de guerre. Et c’est à ce titre que nous lui ouvrons les guillemets.
Et puis nous avons aussi voulu interroger nos journalistes à nous, ceux qui connaissent la liberté, et la sécurité, et se retrouvent en première ligne, au front, derrière des gilets pare balles (quand ils ont la chance d’en avoir un) et continuent à exercer leur métier malgré le risque. Pour qu’ils nous racontent les coulisses, les à côtés, tout ce qui est rarement rendu public.
A tous ceux-là, nous tendons le micro, en direct de la guerre.
Ecoutons-les.
Le Club de la Presse de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine


De la difficulté à communiquer

24 février 2022 : début de l’invasion de l’Ukraine par l’armée du maître du Kremlin. Difficulté à prononcer son nom ou bien est ce que je me censure déjà ?
Une amie à la double nationalité française et russe me dirige le lendemain vers le site de Meduza, journal d’opposition russe en exil à Riga (Lettonie). Le média en ligne https://meduza.io regroupe des journalistes russes et occidentaux ce qui lui permet de proposer une version en anglais sous le titre : « The real Russia today ».
27 février : Je tente le contact directement avec la rédaction au moyen d’une de mes adresses électroniques, parallèlement à une deuxième prise de contact avec l’une des rédactrices anglophones à partir d’une deuxième adresse. La rédactrice anglophone me répond aussitôt, me questionnant sur mes motivations. Je réponds immédiatement et me fais taper sur les doigts, les qualificatifs d’anti-démocratique, d’invasion et d’attitude dictatoriale que j’emploie me sont reprochés. Visiblement, même depuis Riga, ces mots-là dérangent On me balance en retour le terme d’activiste. Dix minutes plus tard, un des rédacteurs russes m’oppose une fin de non-recevoir. « Ce n’est pas le moment maintenant. On verra plus tard ». L’adresse de messagerie Google de mon interlocutrice anglophone rejettera dorénavant tous mes mails. Je penserai durant deux jours être victime de « l’œil de Moscou » jusqu’à ce que mon serveur admette quelques problèmes de connection avec la messagerie de Google. Bref, la porte est fermée. Elle va le rester puisque trois jours plus tard Meduza ne sera plus en ligne. Explication officielle sur le site  : « Comme bien d’autres medias russes importants, Meduza a été bloqué. »
Entre temps, je tente des approches vers deux journalistes russes dits « indépendants ». L’un d’entre eux a été expulsé de Biélorussie pour activités dissidentes. Il parle français, ayant effectué deux ans de scolarité en Aquitaine.
6 mars : Sa famille qui réside à Saint-Petersbourg censée faciliter le rapprochement reste muette puis explique à mon intermédiaire dans un mail de plusieurs pages combien elle soutient le régime russe en place. Je comprends si on l’ignorait encore, que l’effet baillon fonctionne à plein régime.
Aucune nouvelle de l’autre journaliste basé à Moscou sinon que l’ensemble de la rédaction de son média « invitée à voter »  a approuvé à 94% le discours du Kremlin et s’interdira désormais d’écrire le mot « guerre ».
8 mars : j’amorce une autre tentative de rapprochement avec un/une journaliste russe via Facebook. Peut être aurai-je plus de chance.
Qu’on veuille bien m’excuser. Pas le temps d’utiliser l’écriture inclusive.


Antoine Estève :

Instantanés d’Ukraine

Antoine Estève reporter et rédacteur en chef pour CNews, Canal+ et C8 travaille à l’international, à la cellule « étranger« . Récemment au Mali, précédemment en Irak, il est aussi enseignant à ses heures à l’IJBA (Bordeaux). Actuellement sur le terrain en Ukraine, il a accepté de nous faire partager les coulisses de ses reportages sous forme de bribes de textes, de photos et de vidéos qui montrent l’envers du décor et décrivent les conditions de travail des journalistes étrangers sur site.

Le port d’Izmail. Abandonné.

Au matin du 8 mars, première image envoyée depuis le port d’Izmail au sud d’Odessa. Un lieu stratégique où les troupes russes pourraient débarquer prochainement. Pourtant, le lieu est à l’abandon.

Conf’de presse

Un peu plus tard, rendez-vous pour « la conf de presse » du maire d’Izmail. Il dit qu’il « attend la guerre ». Sereinement ou presque. Précision : les journalistes ne peuvent pas filmer les installations militaires, ou les milices qui travaillent dans la région. Interdiction. D’ailleurs, c’est très compliqué de faire des images ici. Les militaires ukrainiens contrôlent tout et nous n’avons pas le droit de les filmer ou de les photographier.

Mardi 8 mars, en soirée

Izmail, ville Fantôme

Le périple se poursuit à Izmail dans l’Oblast d’Odessa. Décidément, elle se transforme en ville fantôme. Entre ceux qui fuient le pays, et le couvre-feu strict à 19 heures… il n’y a pas foule… Une chose est sûre : ici, on attend les troupe Russes avec la tête haute.

Les conditions du direct

Le soir venu, après 19 heures (et le fameux couvre-feu) , avec ma consœur Stéphanie Rouquié, journaliste reporter pour Canal + et Cnews, nous faisons nos directs depuis une chambre de notre gîte, devant un grand rideau bleu. C’est notre « studio canal+ Ukraine » improvisé.

Antoine Estève et Stéphanie Rouquié, parés pour le direct

Alertes bombardements

La sirène. C’était hier. Pendant 15 minutes, elle a sonné. Nous nous sommes réfugiés dans le souterrain de l’hôtel, où tout est aménagé pour les « alertes bombardements ». Ambiance canapés anciens et bouteilles d’eau. Avec nous, il y avait cette femme et sa fille. Elles jouaient à un jeu de bowling sur leur téléphone. Quand on est remonté, la vie a (presque) repris comme si de rien n’était.
Pour notre sécurité, nous nous déplaçons toujours avec un gros sac contenant les gilets pare-balles, les trousses de secours, les casques lourds, dans le coffre de la voiture. Pour l’instant, on n’a jamais eu à nous en servir.

A Table, sous l’œil des Tsars,
bon appétit !

mmmh !

Au menu de notre repas, aujourd’hui, des œufs et des gâteaux industriels dans la salle du petit-déjeuner, sans fenêtres… La pièce est décorée de reproductions de toiles naïves de l’époque des Tsars…

En route, mauvaise troupe

Aujourd’hui, nous partons pour Kilia (NDRL Kilia est une ville industrielle et portuaire de l’oblast d’Odessa), avec notre chauffeur Aleksei (un garagiste sympa qui nous trimballe) et Valentine, notre fixeuse. Parmi les difficultés du quotidien, l’essence. Nous avons mis une heure pour trouver 10 litres de carburant. Partout, c’est la pénurie…

Mercredi 9 mars

Plus de pétrole, mais des guiboles… et des Lada

Et des Lada…

De nombreux Ukrainiens sont obligés de ressortir les vélos du garage … des vieilles bicyclettes de l’ère soviétique. Car l’essence manque, et les voitures ne peuvent plus rouler.
Il y a aussi ceux qui prennent la route pour la Roumanie, pour fuir les combats. La plupart du temps, ils partent dans de vieilles camionnettes hors-d’âge…
Il y a aussi les vieilles « Lada » de l’époque soviétique. Oui, oui, elles roulent toujours. Les habitants sont très fiers de les entretenir et de les garder en vie. Ne serait-ce pas une forme de nostalgie du communisme ?


Kiev 9 mars

A 450 km d’Antoine Estève, les 20 ans de Marina bouillonnent de colère. Depuis Kiev encerclée et pilonnée mais qui résiste, elle dénonce le mensonge de Poutine qui continue de nier l’existence de la guerre et prétend « sauver » les Ukrainiens tout en bombardant des civils et empêchant la mise en place de couloirs humanitaires.

Suit le triste bilan du 9 mars et en premier lieu celui qui touche des adolescents et des enfants : décès du jeune champion d’Ukraine en sambo* Artyom Pryimenko âgé de 16 ans et de toute sa famille à Soumy lors d’une frappe aérienne, attaque de bunker abritant des enseignants et leurs élèves dans la région de Mikolaï, enrôlement forcé de cadets ukrainiens de l’Ecole d’aviation de de Krasnodar transférés en Biélorussie.
Plus de 50 enfants seraient morts des frappes sur des écoles ou des hôpitaux et certains par manque d’accès à l’eau ou à la nourriture., Marina dénonce encore les infiltrations de soldats russes dans la population civile dans la région de Kherson, la distribution par l’ennemi de matériel de propagande anti-ukrainienne à Berdiansk, le démantèlement d’antenne relais dans les colonies de la région de Tchernihiv occupées par les troupes russes qui dissimulent du matériel militaire dans des bâtiments résidentiels et agricoles. Civils tués, domicile privés bombardés, patrimoine détruit ( deux églises à Jytomyr et Kiev), l’Ukraine continue de résister.
La jeune Ukrainienne croit savoir qu’une unité de légionnaires venant de France est arrivée sur le sol ukrainien
« La vérité, la dignité, la liberté gagneront » affirme Marina tout en « implorant » l’OTAN de fermer le ciel au-dessus de l’Ukraine, demandant au monde entier de « se joindre à la résistance contre la guerre, le mensonge, la destruction et la manipulation et contre la Russie de Poutine ».

*art martial et sport de combat

C.A.M

Marina D.docx


Marina D. 20 ans à Kyiv :

« Mon arme, c’est ma voix »

Ce 24 février, il est très tôt quand mes parents viennent me réveiller pour me dire : ça y est, la guerre commence”.
Derrière l’écran, en visio-conférence, Marina D, narre son quotidien depuis ce matin-là. Nous découvrons, depuis le bureau d’accueil du Club de la Presse, non pas une jeune femme apeurée ou perdue mais une résistante de Kyiv, calme, qui répéte son admiration pour son peuple, et scande son espoir : « nous gagnerons ! ».

Avant ce 24 février, Marina était communicante et bénévole auprès d’une ONG, la Fondation Darina Zholdak, qui accompagne les adolescents à découvrir leurs talents artistiques.”Ma vie était très heureuse en Ukraine. Ma Kyiv bien-aimée a toujours été pleine de rires et de bonheur”, dit-elle dans un français rapide et vif. C’est d’ailleurs lors d’une conférence sur l’océanographie à Kyiv, où elle était traductrice, que Marina rencontre un Français avec lequel elle reste en contact. C’est à lui qu’elle écrit au début du conflit.

Marina m’a demandé si je connaissais des journalistes qui pourraient raconter ce qu’elle voit, ce qu’elle vit, car il lui semble que tout n’est pas dit ou montré”, m’explique cet intermédiaire.

« Je ne sais pas utiliser une mitraillette »

Si la jeune Ukrainienne veut témoigner c’est aussi parce ce qu’elle s’intéresse à la presse. Aujourd’hui plus qu’hier encore, elle suit les informations ukrainiennes mais également décortique les pages du Monde. Elle n’y trouve pas toujours, notamment, d’informations sur les enfants victimes de cette guerre « sans règles, sans codes et qui semble sans limite« . “Je ne sais pas utiliser une mitraillette, mon arme c’est ma voix. Je veux vous dire tout ce que j’entends, vous montrer tout ce que je vois”.

Comme beaucoup de ses compatriotes, Marina ne veut pas quitter son pays : “nous devons résister et nous résistons, nous ne partirons pas”. Alors, elle s’est installée dans une maison avec des amis , et ses parents. Ensemble ils s’organisent, réorganisent une vie au fil du conflit. Il n’y a pas ou plus de sidération dans ses mots, juste une conviction, pas vraiment une rage mais une force de survivre, de revivre comme avant ce 24 février, librement. Cette énergie, elle dit la tenir de son « amour sans bornes pour son pays. Je ne peux pas être faible alors que je sais mes amis au combat, ou essayant de trouver de l’argent pour l’armée« , dit-elle.
Marina aime à évoquer son Ukraine d’avant. Il y a quelques jours encore, elle prenait des cours de danse et de boxe. Cette vie, où, comme dans un rêve, elle revoit sa « famille heureuse, ses amis à côté d’elle et au-dessus, un ciel paisible ou seuls survolent les avions de ligne, silencieusement ».

Laëtitia Langella

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