Ce lundi, le Club de la Presse et ALIMSO proposaient à l’UGC la projection du « vieux » CITIZEN KANE » d’Orson Welles (1941) précédé d’un débat de circonstance : La presse est-elle toujours le 4ème pouvoir, celui qui peut faire tomber un président des Etats Unis en révélant un scandale majeur ? Comment cette vieille notion a lire la suite
Ce lundi, le Club de la Presse et ALIMSO proposaient à l’UGC la projection du « vieux » CITIZEN KANE » d’Orson Welles (1941) précédé d’un débat de circonstance : La presse est-elle toujours le 4ème pouvoir, celui qui peut faire tomber un président des Etats Unis en révélant un scandale majeur ? Comment cette vieille notion a t’elle évolué à l’heure des nouveaux mass médias instantanés.
Le débat était animé par Jean Petaux, politologue, et éclairé par deux personnalités, Mme Anne Guérin, président du tribunal administratif d’appel, de Sciences PO et du CTR (antenne régionale du CSA), et Jean-Marie Dupont, ancien président de la Société des rédacteurs du journal Le Monde, administrateur du Club de la Presse de Bordeaux.
Le public composé majoritairement d’étudiants a su relancer le sujet par des questions sans concession : les journalistes sont-ils vraiment responsables de la médiocrité et de la répétitivité du flux quotidien des informations ? Que peut on faire face à la vulgarité des programmes de certaines chaînes de télévision ? Les puissances d’argent sont-elles le véritable pouvoir qui influence l’opinion à travers les médias ?
Point de vue d’expert :
Jean Petaux,
Jean PETAUX : « Citizen Kane » c’est l’histoire d’un magnat de la presse qui a effectivement existé : Randolph Hearst, véritable parangon du capitaliste américain. Différence de taille entre le « citoyen Charles Kane » (le héros du film de Welles) et le vrai Hearst, ce dernier était un héritier, le fils d’un multimillionnaire américain. Si l’on devait comparer Hearst avec des personnages du même genre, aujourd’hui, on trouverait Rupert Murdoch, né en 1931 en Australie ou, avant lui, Robert Maxwell né 8 ans plus tôt que Murdoch mais décédé dans des circonstances quelque peu étranges, avec un beau scandale à la clef de sa disparition, en 1991*. En France nous n’avons pas, à mon sens, ce genre de capitaine d’industrie devenu magnat de la presse. Hersant a pu y ressembler en étant le « papivore » qui absorbait au temps de sa splendeur de nombreux titres, y compris en province et en adoptant des méthodes de gestion ou d’ingénierie qui ont pu apparaître révolutionnaires pour l’époque (années 80) dans la presse écrite. Jean-Luc Lagardère a été aussi une sorte de « magnat de la presse » à la française. On peut ajouter évidemment Francis Bouygues mais il n’a pas « touché » à l’écrit, seulement à l’audiovisuel et au cinéma. Quant à Marcel Dassault, il créa « Jour de France », le « journal des bonnes nouvelles », mais personne ne l’achetait et il abonnait lui-même tous les médecins et les coiffeurs. Les actuels propriétaires du « Monde », le trio BNP (Berger-Niel-Pigasse) sont, à mon sens, de « pâles copies » des grands magnats de la presse anglo-saxonne. D’abord parce qu’ils sont trois et qu’ils ne s’entendent pas forcément à merveille, ensuite parce qu’ils ont des statuts très différents. Des trois c’est peut-être Xavier Niel qui est le plus proche de certains modèles nord-américains (des Ted Turner par exemple), mais, une fois encore, la comparaison n’est pas aisée ni dans le temps ni entre les sociétés actuelles.
2 / A l’appui de la thèse de « la presse, 4eme pouvoir », on cite Zola « J’accuse », on cite la chute de Nixon après l’enquête du Washington Post sur le «Watergate », quoi de commun avec le « bashing » dont est victime l’actuel président François Hollande ?
Jean PETAUX : Je pense qu’il y a plus de points communs entre la situation qui fut celle du Watergate et le travail du « Post » et ce qu’a pu faire la presse pendant la présidence Sarkozy pour « sortir » quelques « affaires » ou dossiers problématiques (je pense aux enquêtes d’Arfi et de Lhomme pour « Médiapart » ou de Lhomme et Davet pour « Le Monde ») que par rapport au « bashing » qui concerne l’actuel président. François Mitterrand n’a pas cessé d’être « bashé » (le terme n’existait pas alors) entre 1981 et 1993. Souvenons-nous des marionnettes du « Bébète-Show » et des textes de Roucas, Collaro et Amadou ou encore des imitations sanglantes de Thierry Le Luron, la parodie de « L’important c’est la rose » qui étaient repris en boucle… Sauf qu’ils n’y avaient pas de réseaux sociaux, pas de chaînes d’infos en continu et que l’ampleur de l’écho était moindre. Concernant le journalisme d’investigation c’est tout autre chose… A ma connaissance François Hollande n’a pas encore fait quelques séjours dans le cabinet d’un juge d’instruction….
3 / La presse a t’elle un rôle perturbateur ou au contraire stimulant au fonctionnement des trois « Etats » de la démocratie, législatif, exécutif, judiciaire ?
Jean PETAUX : Elle a rôle perturbateur donc stimulant… Car pour stimuler quelque chose il faut nécessaire le perturber, dont le mettre en mouvement (« muovere » en italien) qui a la même étymologie que le mot « émotion » en français.
« Habile à exploiter tous les mécontentements et à soulever toutes les haines, la Presse fomente un esprit de défiance et d’hostilité envers le pouvoir et cherche à semer partout des germes de trouble et de guerre civile « .
Première ordonnance de 1830, exposé des motifs écrit par le Prince de Polignac / cité par Jean Marie Dupont
4 / La presse a t’elle besoin d’organes de régulation ? officiels ( CSA), d’initiative professionnelle (Observatoire de la Déontologie de l’Information ) ?
Jean PETAUX : Elle en dispose en effet. Ne serait-ce (pour le CSA) qu’à cause de contraintes techniques (la bande FM par exemple et la gestion technique des fréquences). Elle bénéficie aussi d’aides (par exemple des subventions sont allouées pour l’acheminement postal des journaux aux abonnés). Mais, à titre personnel, je me méfie toujours des « organes de contrôle » qui ont tendance, presque naturellement, à traiter rapidement du fond et non pas de la forme par exemple. Il faut se méfier comme de la peste des « Savonarole », des « prophètes de la vérité » qui distribuent des certificats de « bonne et de mauvaise conduite ». Qui disent le « bien et le mal ». Les « ayatollahs », de droite, de gauche, d’extrême-droite ou d’extrême-gauche sont toujours et finalement des « moines-soldats » qui ne sont jamais très loin des Khmers rouges et des colonels grecs dénoncés dans « Z »…
5 / Le pouvoir économique rend la presse ( comme industrie) possible. Est-il nuisible à la qualité de ses contenus ?
Jean PETAUX : Ce constat n’est pas nouveau… On prête à Engels cette phrase : « A quoi sert la liberté de la presse si vous n’avez pas les moyens de créer un journal ? ». Oui, en effet, le pouvoir économique rend la presse possible. Il n’est nuisible à la qualité des contenus que si ceux qui veulent produire des contenus de qualité (encore que cela demeure compliqué à apprécier) se couchent devant lui.
« Les tyrans sont grands, dit La Boëtie, le Périgourdin, dans le « Discours sur la servitude volontaire », que parce que nous sommes à genoux ». On peut remplacer, quand on est journaliste professionnel, le mot « tyran » par « patron de presse ». Mais je ne dirai pas non plus que tous les « patrons de presse » sont des tyrans. Certains sont juste incompétents et incapables. D’autres, la grande majorité, sont bons, voire très bons, et se battent tous les jours pour que leur entreprise de presse fonctionne en n’empiétant pas du tout sur la ligne éditoriale de leur journal d’ailleurs.
Exposé des motifs de la loi de 1837 qui instaure le monopole de l’Etat sur les moyens de communication, cité par Jean Marie Dupont.
6 / Qu’avez vous personnellement retenu de plus fort du débat Journalistes aux écrans de ce lundi, organisé par Club de la Presse et ALIMSO, que vous animiez ?
Jean PETAUX : Beaucoup de choses. J’ai trouvé les échanges très riches et surtout plein d’enseignements et d’informations. Ce qui est remarquable quand il est justement question d’information. On dit souvent que les débats « tournent en rond », ce n’était pas le cas du tout ! S’il ne fallait retenir qu’un message c’est celui qui a d’ailleurs été applaudi par le public et qui s’adressait aux jeunes étudiants présents dans la salle de l’UGC Ciné-Cité : « Si vous voulez faire le métier de journaliste, faites-le ». Je pense que c’est peut-être un des plus beaux métiers du monde… L’un des plus anciens sans doute aussi … Parce que s’il n’y avait pas eu un journaliste pour raconter comment Adam et Eve ont été virée avec perte et fracas de l’Eden, on n’en aurait jamais rien su… C’est dire que cela ne date pas d’hier !!!
Propos recueillis par Marie-Christiane Courtioux
Avec beaucoup de courage et de lucidité, et un brin d’ironie, Jean Marie Dupont a rappelé que les journalistes, actuellement, comme autant de Cyrano de Bergerac, sont les premiers à se regarder dans la glace et à faire leur auto-critique. Selon les enquêtes d’opinion, ils sont, avec les politiques -et les juges ajoutera Mme Guérin- l’une des professions les plus décriées. La défiance est constante depuis près de trente ans.
Mme Guérin a rappelé la mission du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) sur le contrôle des contenus des médias audio visuels : quand intervenir ? La liberté d’expression et de presse justifie t-elle tous les excès e toutes les indécences ?
Jean Marie Dupont rappelle les raisons d’être et le travail de l’ODI ( Observatoire de la Déontologie de l’Information ), Marcel Desvergne, son président, rappelle le rôle d’ALIMSO ( site en travaux) auprès du journal Sud Ouest. L’association ne s’immisce pas dans le travail des journalistes, et simplement relaie critiques et questions des lecteurs internautes … et fidèles, pour alimenter le débat.
Pour conclure ensemble, par la lecture de vieilles citations de 1830, termes que l’on croirait contemporains* ( cités plus haut), que la presse a joué son rôle de contre pouvoir à travers les époques, avec plus ou moins de facilité mais avec toujours beaucoup d’utilité et de pugnacité.
MCC
Le Président du Club de la presse, Pierre Sauvey, a adressé ses remerciements à tous les organisateurs et en particulier M. Pierre Bénard directeur de l’UGC.)
Commentaire transmis par Jean Marie Dupont:L’interview de Jean complète très utilement notre débat.
Deux remarques :
-LeCSA et l’ODI sont deux organismes de composition et d’objet différent.Le CSA est un organe de régulation essentiellement économique, créé par le pouvoir et dont les membres sont nommés par le pouvoir.Je partage l’avis de Jean Petaux :je ne souhaite pas qu’il intervienne dans le domaine de la déontologie et je me méfie de ses interventions sur le contenu de l’information et des programmes
L’ODI est une association de journalistes et de citoyens qui exprime librement des points de vue sur les conditions de la production et de la diffusion d’informations;il n’a de pouvoir que d’incitation ou d’éducation et bien sûr aucun pouvoir de sanction
-La plupart des grands patrons de presse en France depuis la dernière guerre étaient des journalistes et non des hommes d’affaires:Jean Daniel pour France-Observateur,Jean Jacques Servan-Schreiber pour l’Express,Jacques Duquesne et d’autres anciens de l’Express pour le Point,Jean-François Kahn pour l’Evènement du Jeudi puis Marianne. Et même Robert Hersant construit son groupe sur un journal qu’il a lancé avec succès, l’Auto Journal. Jean Petau a raison ce sont rarement des magnats des affaires ou de la finance qui ont dirigé les grands journaux français;Le Figaro avec Prouvost-Béghin puis Boussac puis Hersant puis Dassault est plutôt une exception. Ce qui ne veut pas dire évidemment que les milieux financiers, en particulier les banques, n’ont pas joué souvent un rôle déterminant dans l’évolution des journaux. Même Le Monde a subi les pressions de la banque BNP bien avant la prise de pouvoir par la B(Bergé) N (Niel ) P (Pigasse ) d’aujourd’hui!
Amitiés
Jean Marie