Cette année, le prix Albert Londres a été remis à Bordeaux au journaliste marseillais, Philippe Pujol, pour son enquête « Quartiers shit » sur la violence sociale dans un quartier de la cité phocéenne, publiée par épisodes dans le journal « La Marseillaise » en 2013. Les Français Julien Fouchet, 38 ans, Sylvain Lepetit, 32 ans et le journaliste pakistanais lire la suite
Cette année, le prix Albert Londres a été remis à Bordeaux au journaliste marseillais, Philippe Pujol, pour son enquête « Quartiers shit » sur la violence sociale dans un quartier de la cité phocéenne, publiée par épisodes dans le journal « La Marseillaise » en 2013. Les Français Julien Fouchet, 38 ans, Sylvain Lepetit, 32 ans et le journaliste pakistanais Taha Siddiqui, 30 ans, ont pour leur part emporté le prix pour leur reportage télé « La Guerre de la polio » en Afghanistan et au Pakistan, produit par Babel Press et diffusé par France 2 dans Envoyé spécial le 5 décembre 2013. Cette remise de prix à Bordeaux fut aussi l’occasion de consacrer une journée de réflexions au journalisme d’investigation à l’IJBA (Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine). Focus sur l’un des débats, qui portait sur la mafia au Québec
En 2013, la presse québécoise a révélé une longue série de scandales, de corruptions, d’abus de pouvoir, de détournements de fonds… Plusieurs maires, élus, responsables administratifs et chefs d’entreprises ont fini derrière les barreaux. Les médias ont joué un grand rôle dans cette opération de « nettoyage ». Marie-Maude Denis, journaliste à Radio-Canada, est venue raconter comment elle a enquêté avec passion, en prenant des risques. Ses reportages d’enquête sur des malversations dans l’industrie de la construction au Québec ont été récompensés des Prix Judith-Jasmin en 2010 et 2012, du Premier prix d’excellence de la Caisse de dépôt et placement du Québec en 2011 et du prix Tara Singh Hayer qui récompense le journalisme courageux du Canadian Journalists for Free Expression en 2012.
Collusion, corruption et crime organisé
Marie-Claude Denis, n’avait que 28 ans quand elle a sorti l’affaire. Elle a découvert la collusion, la corruption, le crime organisé. C’était une enquête à hauts risques au cours de laquelle elle a reçu des menaces. « La mafia calabraise et sicilienne est bien implantée ici depuis un siècle », a-t-elle rappelé, en préambule. Pour faire sortir l’affaire, il a donc fallu trouver des preuves, ce qui n’a pas été aisé. « Il y a eu des meurtres pour s’assurer que des entrepreneurs ne dénoncent pas l’accord entre des géants du bâtiment qui ont truqué les appels d’offres et monté les prix de 30% », a-t-elle précisé. Les sommes en jeu sont colossales : 42 milliards de dollars pendant 5 ans sur les contrats d’infrastructures au Canada. « Au total, le montant de la triche avoisine 1 milliard de dollars », a estimé Marie-Claude Denis.
Les notes de frais qui ont apporté les premières preuves
Sa première source a été un enquêteur de police, qui lui a donné un document avec de nombreuses pistes sur les trucages d’appels d’offre. Ensuite, la journaliste a réussi à obtenir les fausses notes de frais du directeur du syndicat de la construction au Québec, qui avait des dépenses faramineuses. « Il notait avec qui il mangeait. Et, c’est là que sont apparus tous les ténors de la mafia », a-t-elle expliqué. Ensuite, les grands journaux nationaux, « La presse » et « Le devoir » ont sorti l’affaire.
Les médias ont déclenché une commission d’enquête
C’est alors que le parlement a demandé une commission d’enquête, car « il y avait beaucoup plus de choses sûrement que ce que les médias avaient révélé », a indiqué Marie-Claude Denis. Le gouvernement a répondu en créant l’Unité permanente anti-corruption. « Plus d’une centaine de personnes ont été arrêtées depuis 2009 et notamment une dizaine de maires, maires adjoints », a-t-elle souligné. « Notre grande force a été de dire : un tel a fait telle chose à tel endroit. On a présenté des faits précis », a mis en avant Marie-Claude Denis.
Une détermination sans failles
Sa détermination a été impressionnante. Elle a été jusqu’à rencontrer des membres des Hells angels à leur domicile, car ils refusaient toute rencontre en public. Dans ce dossier, ce qui a été capital, c’est la solidarité entre journalistes. Ces derniers ont su unir leurs forces et publier leurs papiers d’enquête le même jour, afin de se protéger contre des représailles trop personnelles. Cette journée de réflexions sur le métier a été riche de sens et rappelle combien journalisme et démocratie sont intimement liés.
Nicolas César