L’affaire Cahuzac l’a montré, le journalisme d’investigation n’est pas mort, même si la presse écrite n’a plus toujours les moyens d’en assumer le coût. Le modèle de Médiapart est-il reproductible ? Le journalisme d’investigation peut-il être sauvé par Internet ? Telle était la question posée lors d’un débat aux Tribunes de la presse à Bordeaux lire la suite
L’affaire Cahuzac l’a montré, le journalisme d’investigation n’est pas mort, même si la presse écrite n’a plus toujours les moyens d’en assumer le coût. Le modèle de Médiapart est-il reproductible ? Le journalisme d’investigation peut-il être sauvé par Internet ? Telle était la question posée lors d’un débat aux Tribunes de la presse à Bordeaux vendredi 18 octobre.
« C’est le journalisme d’investigation qui va sauver le métier. Ce n’est pas Internet, qui n’est qu’un tuyau ». Dès ses premiers mots, Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart a planté le décor. A l’écouter, la recette paraît simple, pas de publicité, privilégier l’enquête. C’est le choix fait par la revue XXI et le pure player Médiapart, qui sont rentables aujourd’hui. « La gratuité est un leurre. En réalité, on la paie. L’information a un prix et l’indépendance a un coût », a insisté Fabrice Arfi. Le journaliste de Médiapart explique les difficultés actuelles des médias par leur manque d’investigation, une conséquence de leur structure capitalistique. Ainsi, Serge Dassault, marchand d’armes est patron du Figaro et Bernard Arnault, PDG de LVMH, premier grand groupe de luxe français, est propriétaire du premier journal économique français, les Echos. « C’est une révolution culturelle, des batailles au sein des rédactions que nous menons pas », dénonce-t-il.
« Si Médiapart gagne de l’argent, c’est parce que notre site répond aux besoins des gens et non des financiers »
Au passage, Fabrice Arfi a raconté les coulisses de l’enquête Cahuzac. En tant que ministre du Budget, Jérôme Cahuzac a accès à toutes les données fiscales. « Lorsqu’il déclare que Woerth est un honnête homme dans l’affaire Bettencourt, alors que dans rapport, la justice l’accable, je m’interroge de savoir ce qui lie les deux hommes », raconte-t-il. C’est le début d’une longue enquête, qui commence en juillet 2012. Rapidement, il découvre qu’il a plusieurs comptes en Suisse, qu’il y a un enregistrement sonore… Un très important travail pendant 4 mois. « Aujourd’hui, nous sommes 4 à travailler sur cette affaire à Mediapart« , indique Fabrice Arfi. « Vous voyez, il n’y a pas de recette pour sortir des affaires, que de la méthode », résume-t-il. « Et si Médiapart gagne de l’argent, c’est parce que notre site répond aux besoins des gens et non des financiers », a mis en avant Fabrice Arfi.
Quand Edwy Plenel est menacé par le Procureur de Paris d’un procès pour dénonciation calomnieuse…
Cela ne s’est pas fait sans mal. Lorsque Mediapart sort l’affaire, la justice n’a déclenché aucune enquête. Le patron du site, Edwy Plenel a donc décidé de prendre la plume pour écrire au Procureur de Paris, qui l’a très mal pris. « Si c’est faux, je vous poursuivrai pour dénonciation calomnieuse… ». De même malgré une loi sur la protection des sources, indispensable pour bien enquêter, une députée socialiste a publiquement déclaré que l’un des objectifs de la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac était de trouver les sources de Mediapart… « Nous en avions 6 ou 7 », ironise Fabrice Arfi, qui ne digère pas ces attaques contre la profession. « Pendant un temps, nous étions le pire du métier, jusqu’à ce que nos affirmations se révèlent justes ». Pour lui, « le problème est que l’idéologie de la communication s’est emparée du politique. La presse tombe dans ce piège, faute de moyens ». Aux yeux de Fabrice Arfi, enquêter sur la fraude fiscale est un devoir de journaliste. « Cela représente 80 milliards d’euros par an et cela a des conséquences sur notre quotidien. Le jour où l’on s’attaquera politiquement, judiciairement, à la corruption et à la fraude fiscale, vous n’entendrez plus parler de budget d’austérité ».
Il y aura bien un procès Karachi
Actuellement, Fabrice Arfi travaille sur l’affaire Karachi. Il a réalisé un documentaire intitulé « L’argent, le sang et la démocratie. A propos de l’affaire Karachi”, diffusé cette semaine à la télévision, revenant sur cet attentat qui coûta la vie à onze salariés de la DCN de Cherbourg en 2002 et le financement occulte de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995. Une affaire, qui interroge notre démocratie. « Il existe chez nous un tribunal d’exception pour les hommes politiques. Ils ne relèvent pas du droit commun, ont droit à des juges particuliers puisque la Cour est composée en partie de députés. Et cette « anomalie » se révèle un verrou majeur pour l’enquête financière sur Karachi. Les juges Van Ruymbeke et Lenoir ont une cathédrale de preuves, de témoignages sur cette affaire de corruption avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite, via le réseau Takieddine. D’un point de vue politique, tous les seconds couteaux sont mis en examen. Mais la responsabilité politique ultime – de Balladur, de Léotard, de Sarkozy – ne peut être interrogée car les faits relèvent de l’exercice de leurs fonctions », nous a-t-il expliqué. Fabrice Arfi a révélé que le dossier sera bientôt bouclé et qu’il y aura un procès.
Mediapart a gagné son procès contre Dassault
« C’est vrai que temps judiciaire est long. Mais, on ne donne pas les moyens à la justice anti-corruption de travailler correctement ». C’est pourquoi, pour faire du journalisme d’investigation en France, un journal doit avoir les reins solides financièrement, un excellent réseau et surtout la rédaction doit être indépendante de ses « patrons ». A cet égard, dès le début, Mediapart n’a pas hésité à critiqué Xavier Niel, l’un de ses financeurs, dans un article, pour « marquer le terrain ». A noter, que vendredi, le tribunal de Paris a débouté Serge Dassault de toutes ses demandes contre Mediapart. L’industriel, milliardaire, sénateur et patron de presse voulait obtenir la censure des enregistrements, où il confirme lui-même ses pratiques de corruption électorale. Une belle victoire symbolique pour ces journalistes attachés à la démocratie et soucieux d’informer au mieux le grand public.
Nicolas César
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