Pour la 4ème édition de ses rencontres annuelles, « Numéricratie : une nouvelle démocratie », Aqui.fr n’a pas seulement traité des médias et du journalisme à l’heure du numérique, comme il nous avait habitué à le faire. Le site bordelais, pour débuter le deuxième cycle de ses réflexions, a replacé les médias dans le contexte plus large lire la suite

Pour la 4ème édition de ses rencontres annuelles, « Numéricratie : une nouvelle démocratie », Aqui.fr n’a pas seulement traité des médias et du journalisme à l’heure du numérique, comme il nous avait habitué à le faire. Le site bordelais, pour débuter le deuxième cycle de ses réflexions, a replacé les médias dans le contexte plus large des transformations de la société numérique : ressenti des citoyens, adaptation des élus, et au bout du compte, réponses des professionnels de l’information. Une mise en perspective très judicieuse.

Aqui

Comme l’a dit Roland Cayrol, président d’honneur des Amis d’Aqui !, dès l’introduction des débats, les acteurs de la société se trouvent confrontés à « de nouvelles conditions d’exercice de la démocratie », à quelque niveau qu’ils se situent. « L’interpellation numérique est permanente ».

Cela se traduit d’abord par de « nouvelles relations entre citoyens et élus », a fait remarquer Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine. « Les citoyens utilisent les technologies numériques comme espaces de parole ». « C’est quelquefois plus efficace qu’un communiqué de presse ». Mais attention aux dérives, nous avons aussi là « une machine à véhiculer de la rumeur » et « on aura la démocratie que l’on mérite ! ».

Finalement, « ceci pousse les journalistes à la qualité ».

Le deuxième débat portait sur le ressenti des citoyens vu au filtre des acteurs de terrains (communicants municipaux, responsables d’association ou d’organisme consulaire).

Là, a été évoquée par Vincent Goulet, sociologue des médias et animateur de la table-ronde, l’incontournable notion de « fracture sociale » liée au numérique.

Marie-Hélène Filleau, directrice de la communication de la Ville de Cenon, a insisté sur l’importance du lien physique à entretenir avec les citoyens. Téléservices, utilisation ludique d’avatars jouent leur rôle amis rien ne remplace le contact direct. Ce que confirme Moussa Diop, le reporter multimédia de la ville, qui capte en vidéo la parole des habitants.

Plus largement, un site « Habitants lieux de mémoire », a été récemment mis en place, dans le cadre du Grand Projet de Ville sur l’ensemble des communes des Hauts de Garonne. Hugues de Domingo s’en est fait le chantre.

Luc Pabœuf, président du Conseil Economique, Social et Environnemental d’Aquitaine, insiste pour cette prise en compte de l’expérience des uns ou des autres qu’il préfère aux expertises extérieures. Mais il faut se méfier de la rapidité engendrée par l’outil numérique.

Les élus de terrain ont ensuite expliqué leurs choix et leurs pratiques dans ce contexte renouvelé. Pierre Sauvey, président du Club de la Presse, en animait la table ronde.

Tous ou presque ont pris le virage du numérique. La seule personne qui se contente du travail de relation directe avec les citoyens, ne refuse pas de s’y mettre. Deux membres du panel sur six apparaissent même comme des addicts. Jean-Marie Darmian, conseiller général du Canton de Créon, écrit un billet par jour sur son blog, est actif pluri-quotidiennement sur Facebook, a un compte Tweeter, etc. Stéphane Delpeyrat, vice-président du Conseil Régional d’Aquitaine, gère plusieurs blogs dont un sur Médiapart.

Laurence Harribey, maire de Noaillan, ex-candidate aux élections européennes, trouve l’utilisation des réseaux « obligatoire dans le cadre du débat démocratique ». Mais pense qu’il s’agit là plus d’« outils d’expression que de démocratie ».

Jacques Bilirit, conseiller général du Canton de Marmande-Est, fait ressortir que « des personnes qui se saisissent de ces outils n’auraient pas pris la parole autrement ».

Alexandra Siarri, adjointe au Maire de Bordeaux, « ne trouve pas les réseaux sociaux plus violents que les réunions publiques ». Il faut faire de l’« éducation populaire numérique ».

Pour Stéphane Delpeyrat, « la communication institutionnelle est déconsidérée aujourd’hui, les réseaux sociaux ouvrent une autre forme de dialogue ».

Pour Jean-Marie Darmian, « il faut partir de l’attente des électeurs ». Ne pas hésiter à utiliser les outils les plus simples comme « les SMS par exemple ».

Enfin « le numérique fait aussi évoluer les relations entre élus ».

Après avoir montré quelques exemples d’emballement de l’info observés sur la toile (un excellent travail des étudiants de Sciences Po Bordeaux qui se destinent au journalisme), est venu le temps de mettre les journalistes sur le gril. Plusieurs spécialistes du passage de la presse aux numérique avaient été convoqués pour traiter des « réponses des pros de l’info et de leur vision des tendances en Europe et dans le monde ». C’est dire si l’ambition était grande.

Pourtant, tout le monde s’entend sur les faibles moyens dont disposent les médias français, déjà malmenés économiquement par ailleurs, pour mettre en œuvre les indispensables réformes que le passage au numérique impose.

Pour Yves Eudes du Monde, « les médias numériques ont beaucoup d’avantages en particulier pour réparer d’éventuelles erreurs. On peut remplacer une info erronée immédiatement. Les remontées rapides des réactions constituent une vérification supplémentaire de l’information ». Sans parler du « fast-checking robotisé » déjà mis en œuvre dans certains journaux en particulier outre-Atlantique.

Maria Santos-Sainz, maître de conférences à l’IJBA, s’inquiète du remplacement des journalistes par des robots.

Pour Eric Sherer, directeur de la prospective à France Télévisions, « les algorythmes sont intéressants pour les résultats sportifs ou financiers par exemple », un travail journalistique pas vraiment intéressant. Mais ce sont Tweeter ou Facebook qui amènent de plus en plus d’information.

« Un journaliste peut se tromper », avoue Catherine Debray, rédactrice-en-chef de Sud Ouest Dimanche. Et de reprendre la formule de Pierre Lazareff : « il n’y a pas d’erreur de journalisme, il y a une nouvelle info ». L’enjeu des data pour la presse régionale est, selon elle, un moyen de « reterritorialiser l’information ».

Pour Eric Sherer : « notre audience en sait autant que nous. Il y a de l’expertise sur Internet ». Aux journalistes de s’en saisir ! Mais aussi aux rédactions et au service marketing du journal de collaborer. Ce que les rédactions continuent de refuser même aux Etats-Unis. Il faut accroître les analyses de données.

« Le numérique généralise d’ailleurs le droit d’interpeler les journalistes », remarque Laurent Guimier, directeur de France Info, présent via Skype. « Il n’est pas évident de tenir compte des réactions des lecteurs ou des auditeurs, mais il faudra mieux les prendre en compte à l’avenir ».

Eric Sherer fait référence à la dernière Conférence du Journalisme en Ligne (la 15ème !) qui vient de se tenir aux Etats-Unis. « Aujourd’hui, si vous n’êtes pas un journaliste en ligne, vous êtes dans la minorité », a affirmé en introduction la présidente de la conférence, journaliste à CNN.

Pour Yves Eudes, « l’opposition web/print se dissout. On écrit un article pour l’un ou l’autre sans savoir où il sera publié ». De plus, « le web donne plus de liberté » : longueur de l’article, illustration…

Thierry Gadault, fondateur d’Hexagones, est d’accord et formel : « Le numérique, on ne reviendra pas là-dessus. C’est tellement riche comme écriture ».

Mais Catherine Debray revient à l’aspect économique : « L’essentiel de nos revenus, c’est le papier » même si des études font ressortir qu’« il ne devrait plus y avoir de quotidiens papier en 2017 aux Etats-Unis (2029 en France) ».

Thierry Gadault fait remarquer que Médiapart représente aujourd’hui plus de lecteurs que Libération ou La Croix.

« Notre métier vit sa plus grosse révolution », constate Laurent Guimier. « On est beaucoup mieux informés aujourd’hui, journalistes et citoyens ».

S’ensuit un débat sur l’utilité, dans ce nouveau cadre, de l’AFP. Finalement son utilité demeure pour la plupart des intervenants, mais « on apprend des faits par les lecteurs, on reçoit des photos » et « c’est une force », affirme Catherine Debray.

En fin de débat apparaîtra la nécessaire éducation à l’utilisation de ces réseaux (« Comment trier ? », demandera un spectateur) comme hier avec la lecture de l’image et la télévision.

L’enseignement aurait peut-être pu constituer le volet manquant de cette journée par ailleurs bien remplie.

 

Philippe Loquay

 Le compte-rendu de Marcel Desvergne sur EDUCAVOX

 SITE des Aquinautes / ITW de Joel Aubert par Thierry Guillemot

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